Le Covid-19 a rendu Prague à ses habitants. Des associations font pression pour réfléchir à l’après

Une trentaine d’associations et d’organisations locales interpellent la mairie de Prague pour que leur ville ne redevienne jamais le temple de la consommation touristique qu’elle était avant l’épidémie. A travers une pétition que nous reproduisons ici, elles esquissent des solutions pour une ville plus respectueuse de ses habitants, de sa culture et de son environnement.  

Ce qui suit est un communiqué qui a été publié sur le site internet du média militant A2larm. Il a été traduit par André Kapsas

Quand la pandémie du coronavirus a éclaté au début du mois de mars en Tchéquie, Prague a dévoilé un autre visage, non-touristique. Un phénomène auquel nous nous étions habitués s’est arrêté. Des bars et des restaurants inaccessibles aux habitants ont fermé, ls rues se sont vidées, les attractions qui occupaient l’espace public ont arrêté de fonctionner. De nombreux appartements qui servaient d‘hébergement touristique illégal sont peu à peu revenus sur le marché. Le centre, que les Pragois souvent évitaient, peut maintenant être traversé tranquillement, et sa beauté brille à nouveau. Profitons de la situation actuelle pour réfléchir aux besoins réels des habitants. Débattons de la mise en place d’un tourisme durable, d’une politique du logement et du développement urbain de Prague.
Environ huit millions de touristes sont venus à Prague l’année dernière. Mais les chiffres publiés par l’Office tchèque des statistiques ne montrent que les nuitées dans les hébergements officiels. Les chiffres totaux sont sans doute d’un tiers plus élevé. Berlin, qui est trois fois plus grande, avait donc moins de touristes que notre capitale. Pour les habitants vivant à Prague, qui y habitent et qui la façonnent, le tourisme est un problème sérieux.

La vie disparaît de Prague et, avec ses habitants, disparaît aussi la mémoire de la ville.

Ce commerce incontrôlé modifie le caractère de Prague. Il en chasse les habitants et remplace l’atmosphère locale basée sur la vie communautaire et le voisinage par un ‘Disneyland’ sans âme, du logement inabordable et des projets commerciaux réservés à un petit groupe de gens. Les services essentiels à la vie quotidienne disparaissent et d’autres réservés exclusivement au tourisme surgissent. Aujourd’hui, quand nous voyons les rues sans touristes et les boutiques de souvenirs hors de prix fermées, nous voyons aussi à quel point le centre est devenu étranger aux gens qui façonnent cette ville – ses habitants. De plus en plus vite, la vie disparaît de Prague et, avec ses habitants, disparaît aussi la mémoire de la ville. Les citoyens ordinaires ont de la difficulté à vivre à Prague, le genius loci et les bonnes relations sociales sont remplacées par l’illusion du profit rapide.

Une ville durable ne peut qu’être une ville qui réussit à s’occuper des besoins de ses habitants, à les protéger et à penser au futur avec eux.

C’est pourquoi nous demandons le lancement d’un débat public – par exemple, sous la forme de discussions publiques ou de tables rondes – sur les points suivants :

La limitation des locations de courtes durées uniquement aux appartements partagés

Derrière l‘hypocrisie du ‘partage’ et de la ‘location’, des services d’hébergement sont offerts dans 14 000 appartements qui appartiennent souvent par dizaines à de grands entrepreneurs et qui sont offert à quelque 80 % comme appartements entiers convertis en chambres d’hôtel. Ces appartements pourraient servir de logement à près de 30 000 Pragois, ce qui rendrait à nos rues les principes du voisinage et du lien au foyer. Le partage devrait être réservé uniquement à son propre appartement, là où le propriétaire vit réellement.

@André Kapsas

L’accent sur le logement abordable de qualité

Les prix du logement croissent deux fois plus vite que les salaires et Prague devient ainsi inaccessible pour la classe moyenne, pour les familles avec enfants, pour les étudiants et les retraités. La construction d’appartements a crû dans les dernières années, mais les appartements de luxe ou bien pour les investisseurs ne garantissent pas une plus grande accessibilité du logement. Au contraire, ils contribuent plus souvent à la gentrification, à l’augmentation des prix du logement dans leur voisinage et au déplacement de groupes de citoyens moins aisés. Nous devons commencer à construire du logement municipal et coopératif et requérir des développeurs privés qu’ils réservent une certaine proportion au logement abordable afin d’assurer la pluralité sociale de la ville. Les municipalités devraient aussi soutenir les programmes dits de ‘Logement d’abord’, qui réussissent à mettre fin au sans-abrisme. La crise du coronavirus nous a montré que le logement joue un rôle fondamental pour notre sécurité.

Le non-agrandissement de l’aéroport

De plus en plus de gens arrivent à Prague par avion. La plupart d’entre eux restent à peine trois jours. Une grande partie utilise les locations de courte durée et trouble la paix des gens qui doivent cohabiter avec ces hôtels illégaux. L’élargissement prévoit que l’aéroport double sa capacité d’ici à 2028 : il a servi près de 17 millions de voyageurs en 2019 et la construction devrait assurer le service de 30 millions de voyageurs par année. L’investissement va à l’encontre des limites écologiques de la planète et de l’étude existante de l’impact du projet sur l’environnement. Prague peut s’inspirer de Barcelone, qui a déclaré qu’elle n’agrandirait pas son aéroport, ou de la Grande-Bretagne, où un tribunal a déclaré illégal celui de l’aéroport au vu de la crise climatique. De plus, les 55 milliards [de couronnes tchèques, plus de deux milliards d’euros] que l’État compte dépenser pour augmenter la capacité de l’aéroport pourraient servir à la construction d’environ 20 000 logements abordables. Ceux-ci sont beaucoup plus nécessaires que l’élargissement de l’aéroport dans le contexte actuel de crise du logement sans précédent et de crise climatique naissante.

Le soutien aux entreprises locales et aux services de la vie quotidienne des habitants

Les services essentiels à la vie quotidienne sont remplacés par des magasins pour touristes. Dans le centre de Prague, vous ne pouvez presque pas mettre la main sur des produits domestiques et vous ne trouverez pas une quincaillerie de qualité. Les magasins ordinaires disparaissent alors que vous pouvez trouver à tous les coins de rue des glaces au cannabis à 50 couronnes [environ deux euros, plus de la moitié du salaire horaire minimum] et des pâtisseries « traditionnelles »trdelník. Les poupées russes, le faux cristal ou les massages thaïlandais ne représentent pas Prague ou la Tchéquie et la ville est couverte par ce smog visuel. Même les offres pour touristes pourraient être de goût, de qualité et respectueuses de l’environnement.

Un plus grand soin pour l’espace public

Agrandissons les parcs et les espaces verts, calmons les rues et habitons l’espace public. Les gens devraient s’y sentir en sécurité et son accès devraient être le plus facile possible, autant physiquement qu’économiquement. Accessible pour les piétons et cyclistes, plutôt que pour les trottinettes électriques partagées qui traînent. De nouveaux parcs dans les terrains vagues plutôt que la disparition des espaces pour les activités relaxantes. Des zones de repos bien entretenues et des rues spacieuses plutôt que les terrasses inaccessibles et omniprésentes des établissements pour touristes, les vélos à bière et les autres activités du tourisme « de cuite » – cela devrait être à la vision pour la Prague des prochaines années. Sinon, il risque d’y avoir une aggravation de la frustration et de l’aliénation des gens qui vivent à Prague.

Un plus grand engagement dans les décisions sur le développement de Prague

La construction démarrant dans les environs de la gare Masaryk est un exemple de la façon dont l’approche non-transparent des institutions publiques arrange les développeurs et la participation des habitants n’est qu’une simple formalité. Les Pragois ont-ils donc besoin d’un autre immeuble à bureaux luxueux et d’un hôtel qui viendront de surcroit augmenter la circulation automobile ? N’ont-ils pas plutôt besoin d’un parc, d’une garderie, d’une bibliothèque ou de logements abordables ? Même si les représentants élus le leur demandent, les besoins des développeurs et la logique du plus grand profit économique possible décident à la fin. Cette logique ignore pourtant les deux plus grandes crises : celle du logement et celle de l’écologie. L’Institut pour la planification et le développement urbains de Prague devrait commencer à fonctionner comme une plateforme critique défendant les intérêts publics, les larges débats démocratiques et une véritable participation des citoyens.

Le soin du patrimoine respectant les opinions et sentiments des habitants ayant la ville comme chez-soi

Il ne faudrait pas permettre les constructions atteignant l’organisme et la structure de la ville sans pour autant l’enrichir architectoniquement et n’apportant qu’un nouveau profit aux promoteurs et aux investisseurs. Par exemple le rapport de la mission d’observation de l’UNESCO et de l’ICOMOS, dont les commissaires ont visité la métropole tchèque l’année dernière en mars, exprime sa préoccupation quant à la pression des promoteurs et du secteur privé sur la protection du patrimoine.

Un environnement sain et une réduction du nombre d’îlots de chaleur urbains et de la circulation automobile

Pour les grands projets de construction au cœur de la ville, nous devrions conséquemment exiger que des espaces verts suffisants soit ajoutés afin de pallier aux îlots de chaleur urbains, que les dimensions ne soient pas démesurées et que cela ne mène pas à une dégradation de la qualité de l’air à cause d’une hausse de la circulation automobile. Il faut accélérer la construction d’infrastructure de transport qui réduit le nombre de voitures en ville grâce à l’offre d’alternatives non-polluantes, comme les nouvelles voies de tramway, l’élargissement du métro et des trains de banlieue, ou bien encore des pistes cyclables sécuritaires.

Adrien Beauduin

Correspondant basé à Prague

Journaliste indépendant et doctorant en politique tchèque et polonaise à l'Université d'Europe centrale (Budapest/Vienne) et au Centre français de recherche en sciences sociales (Prague). Par le passé, il a étudié les sciences politiques et les affaires européennes à la School of Slavonic and East European Studies (Londres), à l'Université Charles (Prague) et au Collège d'Europe (Varsovie).