« Toute ma famille s’est réfugiée à la cave, ils sont terrorisés », nous dit Lilia, sous le choc, comme les autres Ukrainiens

La Russie mène des attaques militaires tous azimuts sur le territoire de l’Ukraine. Sur place, des jeunes ukrainiens nous disent comment ils vivent cette situation de guerre qu’ils ne voulaient pas croire possible. 

Vers cinq heures du matin, Petro a été réveillé par son voisin de palier. « Ça y est, la Russie attaque » lui dit-il. D’abord, Petro n’y a pas cru. Mais les journaux et surtout, les nombreux bruits d’explosion qu’il a entendus toute la matinée l’ont vite convaincu. « Très vite, il y a eu du grabuge sur la route et des gros embouteillages », nous explique-t-il, au téléphone. Malgré les bombardements, il n’a pas entendu de bruits de sirènes et n’est pas sorti de son appartement situé dans le nord-ouest de la capitale.

« Ma famille habite à Lviv, mais je ne vois pas comment je pourrai y aller. Les trains sont pleins ou ne circulent pas ». Il est donc resté à Kiev, et s’est entendu avec ses amis pour se rencontrer pendant la journée. « On a fait des stocks d’eau et de nourriture. On essaye de ne pas paniquer et de garder le moral… » Malgré le choc, rien de trop inhabituel dans la capitale. « À la mi-journée tout est plus ou moins calme à Kiev. En fait, mis à part le bruit et la fumée que l’on voit monter de certains endroits, tout est super normal. C’est toujours impossible d’y croire… ». « Dans les supermarchés, les gens achètent un peu plus qu’à l’accoutumée, mais il n’y a pas de panique. Les gens restent civilisés », décrit ce jeune journaliste de 26 ans. 

Les rues sont calmes dans le quartier de Petro.

Il travaillait depuis plusieurs années dans le data journalisme, et profitait du confort offert par la capitale à une jeunesse très dynamique. Cette semaine aurait dû être la dernière à son lieu de travail. Depuis quelques mois, il envisageait sa reconversion, pour devenir pilote de ligne. À présent, impossible de savoir ce qu’il va se passer. « Honnêtement, je n’en sais rien. Mais j’ai confiance dans notre gouvernement, même si je crains que le prix à payer pour l’Ukraine soit très élevé » témoigne-t-il, avant d’ajouter, moins certain : « C’est toujours très difficile d’y croire. J’ai toujours l’impression que ce soir je vais aller me coucher, et que demain matin au réveil, tout sera comme avant. Je me souviens des images de Kaboul en Afghanistan, je pense que pour eux, la vie suivait son cours et tout était normal, jusqu’au moment où tout a basculé. J’espère que ça ne sera pas la même chose ici… » lâche-t-il.

Lilia, kiévoise de 23 ans

Pour, Lilia, 23 ans, la matinée fut différente. Comme la plupart des Kiévois, ce matin, elle n’est pas allée travailler. « Vers cinq heures, on a entendu des bruits d’explosion. Tout le monde les a entendus dans Kiev. » Les sirènes n’ont retenti que vers huit heures, principalement dans le centre lui a-t-on raconté. Elle habite vers Borispil, dans le sud-est de la ville, à côté de l’un des principaux aéroports de la capitale, visé par les bombardements. Immédiatement, Lilia a fait ses affaires, ne prenant que ses biens les plus précieux et surtout, de quoi manger. « J’habite sur la rive gauche du Dniepr, je voulais à tout prix aller sur la rive droite avant que les ponts ne soient détruits. » Réfugiée chez un couple d’amis, Lilia s’y sent plus en sécurité : leur immeuble possède un abri anti-bombe dans la cave.

« J’habite sur la rive gauche du Dniepr, je voulais à tout prix aller sur la rive droite avant que les ponts ne soient détruits. »

Lilia, 23 ans.

La jeune femme, originaire de la ville d’Ouman, située deux cents kilomètres au sud de Kiev, est en revanche très inquiète pour sa famille. La ville abrite une base militaire, l’une des premières cibles des bombardements russes. « La base est en flamme depuis ce matin. Un civil a été tué, et les autorités ont ordonné l’évacuation de la ville vers les villages voisins. Mais mes parents élèvent des chiens, ils ont en ont près de quarante, ils ne peuvent pas les laisser. Toute ma famille s’est donc réfugiée à la cave, ils sont terrorisés. » Lilia s’interrompt. Une nouvelle explosion retentit. Finalement, elle nous rappellera plus tard – sa mère veut lui parler. 

Lilia a rapidement fait ses valises pour se réfugier chez des amis de l’autre côté du Dniepr.
Tout le pays est visé par les bombes

Depuis le début des tensions, la plupart des Ukrainiens croyaient dur comme fer que la Russie ne s’en prendrait pas à l’ouest du pays, que seuls le Sud et l’Est intéressaient le Kremlin. En une matinée, cette certitude s’est envolée. Lyudmila et Iouri, un jeune couple kiévois, étaient en vacances au ski dans la station d’hiver huppée de Boukovel, située dans le sud-ouest, dans le massif montagneux des Carpates. « À six heures du matin, la famille de mon conjoint qui habite à Kherson nous a appelés ». Kherson, c’est cette ville à la frontière avec la Crimée annexée, un avant-poste en première ligne. « Ils pleuraient, ils nous ont dit qu’ils entendaient des bruits d’explosions, que l’invasion avait commencé »

« Il n’y a pas de panique, les gens sont calmes. Mais il n’y a déjà presque plus rien dans les étals. »

Lyudmila, à Boukovel.

Ironiquement, Lyudmila est bien consciente d’être en lieu sûr à côté des pistes de ski – « ils ne vont pas bombarder une montagne ! » – mais elle et son compagnon ont décidé de partir au plus vite pour Ivano-Frankivsk, l’une des grandes métropoles de l’ouest, également ciblée ce matin. « Boukovel est une station de ski, il n’y a pas beaucoup de magasins et tout coûte très cher ». Elle évoque les deux heures qu’elle a dû attendre avant de pouvoir entrer dans l’épicerie locale. Iouri rentre aussi du supermarché, où il a également dû attendre deux heures. « Il n’y a pas de panique, les gens sont calmes. Il y a juste beaucoup trop de monde, donc il faut attendre, et il n’y a déjà presque plus rien dans les étals », explique-t-il.  

« Avant de partir en vacances, j’avais l’impression d’être paranoïaque quand je pensais à prendre des affaires supplémentaires, juste au cas où. Maintenant je regrette… » Le couple n’a désormais qu’un seul objectif, celui de rentrer chez eux dans la capitale. « Je veux rentrer à Kiev, je m’y sens plus en sécurité. Je veux dire, c’est Kiev… si on ne va pas à Kiev, où est-ce qu’on est censé aller ? » s’interroge-t-elle.

Confiance dans l’armée et le gouvernement

 Tout comme Lyudmila et Iouri, Alyona et son conjoint ont fait un don à l’armée ukrainienne. Cette graphic designer de 23 ans originaire de Lviv a passé la journée avec sa famille à préparer leurs affaires à prendre en cas d’évacuation. « Jusqu’à aujourd’hui, on n’avait jamais pris la peine de préparer un sac d’affaires à emporter en cas d’urgence ». Pour l’instant, ni elle ni la majorité de la population de Lviv ne panique. « J’ai confiance dans notre armée, j’espère qu’ils vont repousser l’occupant russe. Je ne crois d’ailleurs pas que la Russie ait assez d’hommes pour s’en prendre à l’ouest du pays. J’essaye de me rassurer en me disant qu’ils ne vont s’en prendre qu’à l’est et au sud. » L’anxiété et la nervosité règnent malgré tout. « Je ne veux pas partir. J’espère qu’on ne nous demandera pas d’évacuer, je ne veux pas quitter mon pays ».

« Non, surtout pas ! Les Russes pourraient nous repérer ! »

Le choix du départ

Partir à l’étranger, de nombreux Ukrainiens en ont déjà pris la décision. Ekaterina et Andreii avaient déjà quitté leur appartement de Kiev la semaine dernière, pour se rendre à Tchernivtsi, dans le sud-ouest de l’Ukraine. « Réveille-toi, c’est la guerre ! m’a dit ma tante ce matin. On a très vite compris ce qu’il se passait, et on a décidé de partir à l’étranger, sans savoir exactement où pour le moment » raconte la jeune femme. Andreii a bien hésité un moment à rester. Ne pourrait-il pas se rendre utile localement, voire en étant appelé à l’armée ? Son père a eu la même réaction. Finalement, la famille décide d’envoyer le jeune couple à l’étranger. Déposés à la frontière roumaine, ils ont fait la queue plusieurs heures avant de pouvoir passer la frontière. « On a des amis à Amsterdam et en Italie, on n’a pas encore décidé où l’on allait. »

Andreii et Katia attendent à la frontière roumaine, pour quitter l’Ukraine.

Peu d’Ukrainiens ont la possibilité de partir comme eux à l’étranger sans perdre leur emploi. Ce matin, beaucoup sont allés au travail. Svitlana, ingénieure de 57 ans, s’est rendue à son bureau dans le centre de Lviv pour y récupérer des documents. Elle n’y a trouvé personne d’autre que son supérieur, assis derrière son bureau, les lumières éteintes. Svitlana lui a suggéré de les rallumer. « Non, surtout pas, c’est un grand bâtiment, les Russes pourraient nous repérer ! », a-t-il hurlé.

Article publié avec le soutien de Heinrich Böll Stiftung | Bureau Paris – France.