Oh putain quatre ans, c’est long !

Les Hongrois ont donc voté. 2,5 millions des 8 millions d’électeurs ont choisi Viktor Orbán, soit 48% des suffrages, soit deux-tiers des députés. Ces électeurs, ont exercé leur droit le plus fondamental et dans une démocratie il n’y a pas de bon ou de mauvais vote. Ce n’est donc pas d’eux dont il s’agit ici. Mais du pouvoir, celui qui tient le pays sous sa botte depuis huit ans et qui s’apprête à rempiler pour quatre de plus, et de la manière dont il s’y est pris pour décrocher cette victoire dans les urnes.

Par ses idées et le débat démocratique ? Non, Orbán n’a plus daigné débattre avec quiconque depuis le 5 avril 2006 (oui, c’était il y a 12 ans !). Bien au contraire, ses opposants politiques ont été diffamés un à un, traînés dans la boue par une myriade de médias aux ordres. Lesquels ont d’ailleurs diffusé à profusion les fake news issues de la « fachosphère » pour alimenter le récit haineux du gouvernement (saviez-vous par exemple que la basilique Saint-Denis avait été attaquée par des hordes de migrants ?). Cette propagande indigne, on peut la résumer à ces portraits de George Soros placés sur le sol des bus de ville afin qu’ils s’en trouvent piétinés. Et que dire de ces vidéos irrespectueuses vis-à-vis de leurs voisins viennois, ou des Bruxellois, et plus généralement de cette rhétorique poutinienne sous-entendant que les Occidentaux seraient des êtres stupides et décadents, si ce n’est des dégénérés ?

Au cours des derniers mois, nous avons vu de nos yeux des retraités apeurés réclamer des armes pour se défendre contre les « migráns » qu’ils croyaient – dur comme fer – sur le point d’envahir leur pays ; Des photojournalistes des médias publics (la MTVA) nous ont raconté avoir interdiction de photographier femmes et enfants lors de la crise migratoire, seulement des jeunes aux visages inquiétants ; Nous avons vu les vidéos de Roms vivant dans la plus grande misère s’inquiétant de ce Soros et de son armée de migrants ; Nous avons entendu les témoignages d’institutrices racontant comment les petits de leurs classes jouent à Soros le méchant contre Viktor le gentil. La vérité, c’est que ce succès des urnes a été bâti au moyen de l’instrument le plus efficace, mais le plus vil : la peur. Elle a été générée par une ignoble propagande dont sociologues et anthropologues nous diront – avec le recul des années – comment la caractériser.

Et ce qui s’annonce n’est guère plus réjouissant à en juger par la tonalité agressive et paranoïaque de la presse pro-gouvernementale. Tous les voyants sont au rouge, ils ne s’arrêteront pas avant d’avoir mis hors d’état de nuire tous ceux qui se trouvent sur leur chemin. (A l’heure où nous écrivons ces lignes, la liste brandie par Orbán des 2 000 ennemis œuvrant supposément au renversement du régime vient d’être divulguée).

Au lendemain de leur déroute et face aux quatre années qui s’ouvrent à elle comme un gouffre (oh putain, 4 ans, c’est long ! aurait dit le Guignol de Jacques Chirac), les forces d’opposition dans la politique et les organisations civiles se trouvent désemparées. Beaucoup de jeunes, acteurs de la société civile, ou simples citoyens, disent déjà vouloir décamper. D’autres en revanche, comme l’éditorialiste de notre partenaire Mérce, resteront pour continuer à s’opposer au nationalisme.

Et nous alors ? Nous qui observons et essayons d’expliquer ces jeux de pouvoir et leurs répercussion sociales ? Il y a à peu près deux ans, Le Courrier d’Europe centrale s’était fixé comme objectif premier de continuer coûte que coûte son aventure pour couvrir ces élections cruciales pour l’avenir du pays et la région Europe centrale. Maintenant que c’est chose faite…eh bien nous allons continuer ! Mais avec plus de diversité de formats, davantage de sujets de société et de reportages, mettant en lumière les dérives actuelles, mais montrant aussi cette région fascinante dans ses aspects plus réjouissants – autant que nos ressources nous le permettront. Prochain sujet brûlant à venir : le futur budget européen. Et là encore, on le verra, il y a fort à faire pour décrypter les implications en Europe centrale et tenter de déconstruire les discours que l’on peut entendre ici ou là et qui nous font crisser les oreilles.

Mais pour réaliser tout cela, nous avons plus que jamais besoin d’un lectorat nombreux et mobilisé, donc de vous !

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).