Passation de pouvoir aux États-Unis : Les (inquiétantes) leçons hongroises

Un Viktor Orbán hypothétiquement battu dans les urnes en 2022 en Hongrie respecterait-il les règles de l’alternance démocratique ? Son refus de condamner les émeutiers pro-Trump du Capitole mercredi à Washington a de quoi inquiéter.

Éditorial – Les images en provenance de Capitol Hill mercredi, de partisans pro-Donald Trump refusant la défaite électorale de novembre et investissant le siège du Congrès, cœur de la démocratie états-unienne, ont une résonance plus forte qu’ailleurs dans la Hongrie de Viktor Orbán, le « Trump avant Trump » selon l’expression de Steve Bannon, pilier de l’Alt-right aux États-Unis.

La ministre de la Famille et vice-présidente du Fidesz, Katalin Novák, a évoqué des « images choquantes », un message accompagné d’une déclaration raisonnable : « la démocratie doit être préservée avant, pendant et après les élections, partout dans le monde ». Lőrinc Nacsa, un obscur député du parti croupion KDNP allié au Fidesz s’est ému de la violence. Et puis… c’est tout.

Le porte-parole du gouvernement vers l’étranger Zoltán Kovacs ? Silence radio. Le président de la République, le très discret et mesuré János Áder ? Silence radio. Le chef du gouvernement et le seul et unique représentant de la majorité au pouvoir qui compte véritablement, Viktor Orbán ? Silence radio…

…Jusqu’à vendredi matin, au surlendemain des « événements du Capitole ». Dans son exercice de communication sur la radio publique Kossuth, Viktor Orbán n’a eu pour seule réaction qu’une tirade décousue. N’y cherchez pas de condamnation des actes des émeutiers, la moindre prise de distance avec le « trumpisme », ni une quelconque prise de position en faveur du respect de la démocratie et de ses institutions.

Viktor Orbán : « Si on regarde ces événements d’un point de vue politique, je préfère que l’on s’en tienne à la politique étrangère que l’on a poursuivi jusque-ici, c’est-à-dire que nous ne jugeons aucun autre pays, nous-même nous n’aimons pas lorsque d’autres pays nous jugent, par conséquent, nous non plus, nous ne jugeons pas les autres pays, et nous ne donnons pas notre avis sur ce qui se passe en ce moment aux États-Unis, ça ne concerne que les Américains. On s’encourage, on les encourage, et on est convaincu qu’ils parviendront à résoudre leurs propres problèmes avec succès. Je dis ça en tant que chef d’un pays, ou de Premier ministre, qui connaît ce problème. C’est presque spontanément que l’on se souvient qu’en Hongrie, la gauche a aussi fait preuve de violence. Ils ont quand même assiégé le bâtiment du parlement, je me souviens bien de ces images où il a fallu des murs entiers de policiers pour protéger le parlement hongrois d’une foule de violents manifestants de gauche, parmi lesquels se trouvaient les leaders de l’opposition. On sait aussi qu’en ce moment même, il y a des chefs de parti qui se retrouvent devant la justice parce qu’ils ont jetés des bombes lacrymogènes sur des policiers à ce type d’occasions. Donc ce qu’il se passe en ce moment aux États-Unis, ça, on connaît. Cela…

Journaliste : C’était en décembre 2018…

Viktor Orbán : Eh bien je ne me souviens même plus en quelle année c’était, et je ne parle même pas du siège des quartiers généraux du Fidesz, je laisse tout ça de côté, je ne parle que du parlement. Que des groupes tentent de pénétrer dans le parlement par la force, les Hongrois en ont fait l’expérience de leurs propres yeux, ce n’est pas aux États-Unis que je l’ai vu pour la première fois. Et à ce moment-là aussi, nous Hongrois, nous avons résolus nos problèmes. Je suis convaincu du fait que les Américains aussi vont résoudre les leurs. »

« Je me souviens bien de ces images où il a fallu des murs entiers de policiers pour protéger le parlement hongrois d’une foule de violents manifestants de gauche ».

Dans un parallèle des plus bancals et une allusion très confuse à l’année 2006, le dirigeant hongrois a totalement occulté le fait que ce sont des groupes d’extrême-droite qui ont pénétré de force et incendié les locaux de la télévision publique, dans un mouvement insurrectionnel visant à faire tomber le gouvernement social-libéral MSzP-SzDSz.

En Hongrie, c’est tout un système qui a perdu pied avec la réalité et la vérité. Le président du parlement, László Kövér, proclame que les élections aux États-Unis ont été volées par les Démocrates et défend une lecture paranoïaque, assurant que « tout, littéralement tout et au-delà de ce que nous pouvons imaginer sera fait pour renverser ce gouvernement ».

Les médias privés pro-Fidesz, alignés sur les médias de l’Alt-Right US (Breitbart) donnent le ton aux médias publics qui ont pris fait et cause pour le jusqu-au-boutisme de Donald Trump[1]„Après les scandaleuses élections de novembre, la présidence de Joe Biden a semé le chaos total”, titre le pure-player Origo : https://www.origo.hu/nagyvilag/20210107-mar-hetek-ota-tudni-lehetet-mi-keszul-washingtonban.html?fbclid=IwAR0qgUI22GOgJv_kCJf5Stf1KV_JAKTZgrIs6DJshw33mBBbmFtwAmhHfHw. Jeudi, le JT de la télévision publique a eu l’audace de titrer : « La présidence de Joe Biden sème le chaos ». Outre cette interprétation délibérément fallacieuse, que Joe Biden ne soit pas en poste à la présidence avant le 20 janvier importe peu aux propagandistes du Fidesz.

Ce déni de réalité laisse augurer de ce que pourrait être une alternance politique en Hongrie : nécessaire, mais dangereuse. Il ne suffira pas à l’opposition de remporter les élections en 2022, qui seront une nouvelle fois « libres » mais « inéquitables »[2]Lire le rapport de l’OSCE sur le scrutin de 2018 en Hongrie : https://www.osce.org/odihr/elections/hungary/377404 (désormais soudée, des sondages lui donnent une chance de l’emporter). Elle devra encore avoir les reins solides après le scrutin. Car s’il venait à être battu dans les urnes, rien ne permet de garantir que le Fidesz, omnipotent et sans garde-fous, respectera les règles d’une alternance démocratique, lui qui ne reconnait que lui-même comme représentant légitime de la nation, qui qualifie ses adversaires de traîtres à la nation et les traite en ennemis à détruire.

Capture d’écran du journal télévisé de la Magyar Televízió : « La présidence de Joe Biden sème le chaos »

Notes

Notes
1 „Après les scandaleuses élections de novembre, la présidence de Joe Biden a semé le chaos total”, titre le pure-player Origo : https://www.origo.hu/nagyvilag/20210107-mar-hetek-ota-tudni-lehetet-mi-keszul-washingtonban.html?fbclid=IwAR0qgUI22GOgJv_kCJf5Stf1KV_JAKTZgrIs6DJshw33mBBbmFtwAmhHfHw
2 Lire le rapport de l’OSCE sur le scrutin de 2018 en Hongrie : https://www.osce.org/odihr/elections/hungary/377404
Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).