Noël à Písek

La ville tchèque de Písek ne compte que 30 000 âmes mais si vous passez par là, je vous conjure de vous abstenir de chercher à convaincre ses habitants que « la vie est ailleurs ».

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Troisième ville de la région bucolique de Bohême du Sud, elle ressemble à une forteresse avec les ponts-levis hissés. Par ailleurs, le centre-ville historique abrite les vestiges d’un château-fort royal et le pont de pierre qui enjambe la rivière Otava est le plus ancien de Tchéquie ; de cent ans plus âgé que le pont Charles de Prague, il en est le portrait, tout craché, en plus petit.

Enfin, autour de Noël, cette ville fait penser à la capitale d’une des petites principautés indépendantes d’Europe. La Grand-Place est surplombée par un sapin de Noël ; une crèche en paille, grandeur nature, s’étend à proximité. Les drapeaux jaune et bleu de la ville flottent sur la façade de l’hôtel de ville baroque d’où, toutes les heures, on entend les sons de cloches aux motifs d’une chanson traditionnelle. Au coin de la rue, les pêcheurs de la région de Třeboň toute proche, postés devant leurs bacs remplis d’eau, vendent les carpes pour le repas de Noël.

L’après-midi du 24 décembre, vous croisez partout les gens portant des lucarnes. Les lucarnes de ceux qui se dirigent vers l’église sont éteintes ; des flammes de cierge s’agitent dans de petits carrés vitrés de ceux qui en reviennent. À l’entrée de l’église se trouve la lumière de Bethléem dont personne ici ne semble se passer. On se couche tard, ce jour-là, car une participation à la messe de minuit n’est certes pas obligatoire, tout en étant bien vue.

Une fête fétiche des Tchèques

La Bohême du Sud est un bastion du catholicisme dans une Bohême athée, mais cela n’explique pas tout ; Noël est une fête fétiche des Tchèques qui, en l’espace de quelques jours, se transforment tous en bons chrétiens. Au cas où vous feriez vos courses lors des derniers jours précédant Noël, après avoir réglé la note, veuillez suivre l’exemple des autres et souhaitez Joyeux Noël à la caissière. Il n’y a pas de Père Noël tchèque ; c’est « le Petit Jésus » qui distribue des cadeaux aux jeunes et aux moins jeunes.

Le 24 décembre, la vie s’arrête pour trois jours car les célébrations se déroulent ce soir-là (« la Soirée généreuse ») et elles sont suivies de deux autres journées fériées. Le 25 et le 26 décembre, il n’y a que des groupes d’étrangers quelque peu désemparés qui marchent dans les rues commerçantes aux stores baissés.

Chaque mère tchèque est censée faire ses propres gâteaux de Noël que sa famille grignote jusqu’au Nouvel An… et jusqu’à un écœurement total. Pendant ce temps, on regarde les contes de fées à la télévision, relayés par les émissions sur le message spirituel de Noël.

Le Noël tchèque est une véritable institution ; si, d’aventure, vous devez le passer dans la ville de Písek, vous vous croirez revenu dans un passé lointain où les gens n’étaient pas encore pressés.

Martin Daneš

Écrivain et journaliste

Dans les années 1990 et 2000, il a successivement dirigé trois périodiques tchèques : le quotidien Denní Telegraf (Télégraphe journalier), le mensuel Mezinarodni politika (Politique Internationale) et la version tchèque de Hustler, l’illustre magazine pornographique créé par l’Américain Larry Flynt.