« Monsieur le Président, la prochaine fois que vous laisserez défiler des troupes étrangères, assurez-vous qu’elles sont bien vos alliées »

Dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, Gábor Eröss, sociologue et maire adjoint du 8e arrondissement de Budapest, interpelle le Président de la République française à l’occasion du défilé militaire du 14 juillet 2022 sur les Champs-Élysées. L’élu budapestois y dénonce la présence d’un contingent militaire hongrois, alors même que le gouvernement Orbán a fait selon lui de la Hongrie le « cheval de Troie de Vladimir Poutine » en Europe.

Lettre ouverte a M. Emmanuel Macron, Président de la République française

Monsieur le Président de la République,

Vous avez mis à l’honneur les pays d’Europe centrale et orientale lors du traditionnel défilé du 14 juillet 2022 sur les Champs-Élysées. Ce très louable geste a cependant un revers. Mon pays, la Hongrie, cheval de Troie de Vladimir Poutine, a également été invité.

La Hongrie se trouve être aussi un membre infidèle de l’OTAN qui n’a de cesse de mettre des bâtons dans les roues l’Alliance atlantique

Dirigée par un despote, un leader d’extrême droite dont j’ai déjà eu l’occasion de vous parler dans une précédente tribune, et qui a traité le président ukrainien de « comédien », la Hongrie se trouve être aussi un membre infidèle de l’OTAN qui n’a de cesse de mettre des bâtons dans les roues l’Alliance atlantique.

Il est évident que ces questions géopolitiques sont complexes et il est compréhensible que la France ne souhaite couper aucun pont en matière de politique étrangère ; mais de là à faire de vos ennemis, des ennemis de la liberté, des invités d’honneur lors de votre fête nationale, fête de la liberté ?

Déjà mis sur la sellette par la Commission européenne et par le Parlement européen du fait de ses attaques répétées contre l’État de droit, mais aussi en raison des détournements des fonds européens au profit d’oligarques proches du régime, le gouvernement Orbán poursuit le démantèlement des institutions démocratiques malgré les promesses répétées de M. Navracsics, ministre chargé de rétablir la confiance entre Budapest et Bruxelles.

La majorité de deux tiers dont dispose le Fidesz à l’Assemblée nationale de Hongrie vient d’adopter en moins de quarante-huit heures une « réforme » de la fiscalité qui anéantit la plupart des PME, au profit de multinationales que la Hongrie refuse de mettre à contribution en mettant son veto à l’instauration d’un taux d’imposition minimum de 15 % voulu par votre gouvernement qui, sans cette opposition de Budapest, aurait couronné la présidence française de l’Union européenne qui vient de s’achever.

L’abandon du recours – habituel en Hongrie – à des modifications brusques et précipitées de la législation sans consultation des partenaires sociaux était pourtant l’une des quatre promesses récemment faites par ce ministre à la Commission européenne en échange du déblocage des fonds européens attendus par Budapest.

Ce même gouvernement diffuse aujourd’hui encore, en boucle, sur toutes les chaînes et sur internet, des « publicités publiques » présentant les sanctions de l’Union européenne comme la cause de la guerre en Ukraine (« les sanctions font perdurer la guerre », mentent-ils).

À la veille de la guerre déclenchée par la Russie de Vladimir Poutine, la Hongrie, seule contres tous les membres de l’Alliance, avait très concrètement bloqué l’adhésion de l’Ukraine au programme de cybersécurité de l’OTAN, qui lui aurait permis de mieux se défendre contres les cyberattaques russes.

Notre ministre des Affaires étrangères, Péter Szijjártó, avait explicitement menacé de bloquer le rapprochement de l’Ukraine avec l’OTAN, mais aussi avec l’Union européenne dans un entretien donné fin janvier.

La Hongrie continue d’interdire toute livraison d’armes à l’Ukraine qui passeraient par son territoire. Elle a également pendant trois mois interdit la partie centrale et orientale du pays à l’OTAN, bloquant de fait le déploiement des troupes d’une alliance militaire dont elle est censée être membre.

La Hongrie a fait retirer le patriarche Cyrille de Moscou – un oligarque favorable à la guerre et très proche de Poutine – de la liste des personnalités sanctionnées par l’Union européenne que vous avez soutenue.

Multipliant les gestes d’amitié à l’égard d’un Vladimir Poutine en guerre contre un pays souverain et sa population civile, le gouvernement hongrois a également accéléré l’extension de la centrale nucléaire de Paks, réalisée par la Russie, qui devrait pourtant tomber sous le coup des sanctions que, là aussi, vous avez soutenues.

L’heure est grave, la plaisanterie n’est donc pas de mise. Mais très franchement, Monsieur le Président de la République, la prochaine fois que vous laisserez défiler des troupes étrangères à quelques pas du palais de l’Élysée, pensez à vous assurer qu’elles sont bien vos alliées et non vos ennemies ; , c’était risqué !

Veuillez accepter, Monsieur le Président de la République, l’expression de mes salutations distinguées. Je vous souhaite une joyeuse fête du 14 juillet.

Gábor Eröss

Sociologue, docteur de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris) et maire adjoint écologiste (Párbeszéd) du 8e arrondissement de Budapest.