Les LGBT+, Budapest et les progressistes européens relèvent le gant contre Viktor Orbán

Samedi 28 juin, la capitale hongroise célèbrera la 30ème édition de la Pride. Une célébration symbolique, que le gouvernement a interdit au nom de la « protection de l’enfance », mais que la mairie de Budapest a décidé de maintenir. La « Marche des fiertés » sera plus politique que jamais, devenue le symbole de la résistance LGBTQ+ et démocratique face à un gouvernement autoritaire et rétrograde.

Un bras de fer entre le gouvernement et la capitale

Le gouvernement n’en est pas à sa première tentative pour interdire la Pride. Déjà en 2011, des doutes avaient plané autour de l’organisation de la marche, la police ayant retiré son autorisation avant de la remettre et en 2017, János Lázár, alors chef du Cabinet de Viktor Orbán, avait rappelé que la Pride ne pourrait avoir lieu si elle n’est pas encadrée par la police. Bien que ces pressions aient échoué jusqu’à présent, cette année, le gouvernement a finalement trouvé un levier juridique pour parvenir à ses fins : un amendement à la Loi fondamentale qui fait prévaloir « le droit des enfants à une protection et à des soins nécessaires à leur bon développement physique, mental ou moral » sur d’autres droits fondamentaux, notamment le droit de réunion.

Pour le Premier ministre, c’est simple : « La Pride ne peut pas avoir lieu en Hongrie ». D’autres membres du gouvernement ont suivi le ton donné par Viktor Orbán. Le ministre de la Justice, Bence Tuzson, a proposé que la marche soit organisée à l’hippodrome et pour le ministre des Transports, János Lázár, « Il n’y aura pas de Pride à Andrássy, ni à Puskás, et j’espère, pour le bien-être des chevaux, pas non plus au parc Kincsem. » Malgré les manifestations qui ont suivi l’adoption de l’amendement chaque mardi depuis mars et les deux recours juridiques pour tenter de maintenir l’événement, la police a tout de même interdit la tenue de la marche des fiertés à trois reprises.

« Ce n’est pas un rassemblement, c’est une fête de la liberté ».

Gergely Karácsony

Mais Budapest n’a pas dit son dernier mot. Dès mars, le maire écologiste de gauche Gergely Karácsony a affirmé qu’« il y aura une marche des fiertés à Budapest en juin ». La mairie a aussi hissé un drapeau arc-en-ciel sur ses bâtiments, en réponse directe à un décret gouvernemental interdisant l’affichage de « symboles faisant référence ou visant à promouvoir différentes orientations sexuelles et de genre ou des mouvements politiques les représentant » sur les édifices publics. Une manière claire pour la capitale de marquer sa résistance et de réaffirmer son soutien aux communautés LGBTQ+, car « la Hongrie n’est pas comme son gouvernement, et encore moins Budapest ».

Gergely Karácsony a ensuite confirmé l’organisation de la Pride en juin, après avoir trouvé une parade juridique : transformer la marche en un événement municipal. Et ce, en se basant sur un décret de 2011 relatif aux spectacles de musique et de danse, qui permet aux collectivités locales d’organiser des manifestations publiques sans être soumises à la loi sur les rassemblements : « La Marche des fiertés aura lieu. Quelle que soit la décision de l’Assemblée métropolitaine, quoi qu’en dise la police ou le gouvernement, la liberté de réunion ne peut être interdite à Budapest, point final. » Un changement de position de la mairie de Budapest, dont l’ancien maire de 2010 à 2019, István Tarlós, soutenu par le Fidesz, avait décrit la marche des fiertés comme « contre nature et repoussante ».

À Budapest, une grande manifestation de soutien à la cause LGBTQ. « Si tu ne résistes pas, tu te fais avoir ».

Ce cadre juridique permettrait de contourner l’autorité de la police, qui n’aurait désormais plus le pouvoir d’interdire la marche. « Ce n’est pas un rassemblement, c’est une fête de la liberté », insiste le maire. L’annonce a été faite aux côtés de Máté Hegedűs, porte-parole de la Pride, qui reconnaît que cette forme inhabituelle d’organisation est la seule manière, cette année, de maintenir l’événement. L’événement, baptisé Budapest Pride, s’élancera comme prévu, de la mairie aux thermes Gellért du côté de Buda, en traversant le Danube par le pont de la Liberté.

Menaces, amendes et intimidations

Les organisateurs de la marche s’attendent à une affluence record, d’autant plus symbolique que les tensions sont vives. Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont attendues pour défiler dans les rues de la capitale mais si la Pride est maintenue, l’événement n’est pas exempt de tensions et d’incertitudes. En effet, toute personne participant à un événement jugé non conforme à cette nouvelle norme s’expose désormais à une amende pouvant atteindre 200 000 forints (environ 500 euros).

Le cortège traversera donc le centre-ville. Interrogée sur les mesures que la police prendra samedi par Télex, la police a indiqué qu’elle « continuera d’agir conformément aux lois en vigueur au 28 juin 2025, d’assurer l’ordre public et la sécurité publique à Budapest, et prendra les mesures nécessaires à cette fin ». Ce qui signifie qu’elle pourra procéder à des contrôles d’identité, à des verbalisations sur place, et a posteriori, au moyen de caméras munies d’un système de reconnaissance faciale.

Face à ces potentielles sanctions, les associations de défense des droits humains se mobilisent pour soutenir les manifestants. L’Union des libertés civiques hongroise (TASZ) et le Comité Helsinki ont diffusé des consignes claires : ne jamais signer d’amende sur place et faire appel des décisions systématiquement. Les participants sont également invités à se renseigner plus précisément sur leurs droits, notamment en cas de contrôle d’identité, via des fiches pratiques mises en ligne par les ONG. Du côté des organisateurs, le mot d’ordre est limpide : ne céder à aucune provocation car « tout excès sert les intérêts du gouvernement et compromet les chances de la communauté qui lutte pour sa liberté ».

L’Orbánisme à son point de non-retour, la Hongrie à la croisée des chemins

Les troubles pourraient venir d’une contre-manifestation organisée par le parti d’extrême droite MiHazánk, dont le parcours – autorisé par la police – recoupe à plusieurs moments celui de la Pride. Előd Novák, vice-président du parti, a déclaré au journal Index à ce sujet qu’il espérait que la police interviendrait contre la Marche des fiertés, sans quoi ils tenteront d’empêcher la marche « par nos propres moyens ». Des propos qui font écho à une histoire sombre de la Pride de Budapest, où les marches des fiertés de 2007 et 2008 ont été violemment attaquées par des groupes nationalistes et des néonazis.

Une marche européenne

Les Hongrois ne seront pas seuls pour défier leur gouvernement dans les rues. La mobilisation internationale, et en particulier européenne est « un message fort adressé par toute l’Europe à la communauté LGBTQ+ de Hongrie : « vous n’êtes pas seuls ! Nous vous entendons, nous voyons la privation de vos droits, votre souffrance, et nous ne vous tournerons pas le dos » » s’est réjouie Viktória Radványi, présidente de la Budapest Pride.

« Si Viktor Orbán peut interdire la Pride de Budapest sans conséquences, alors elle peut être interdite ailleurs ».

Katalin Cseh

L’événement a pu compter sur le soutien de trente-trois ambassades, dont celle de France, et ce malgré les menaces diplomatiques. « Nous défendons les droits de tous, l’égalité de traitement et la non-discrimination, ainsi que la liberté d’expression, de réunion pacifique et la protection contre la violence » ont-elles déclaré dans un communiqué. Mais le gouvernement hongrois ne désarme pas. Le ministre de la Justice a adressé un courrier aux chancelleries concernées : il y rappelle que la marche est toujours considérée comme illégale, et que toute participation constitue alors une infraction.

Malgré cela, près de soixante-dix députés européens ainsi que des députés nationaux, maires ou représentants d’organisations internationales devraient également participer à la marche car, comme l’a dit l’ex-eurodéputée Momentum Katalin Cseh, « si Viktor Orbán peut interdire la Pride de Budapest sans conséquences, alors elle peut être interdite ailleurs ».

Même la très frileuse Commission européenne a fini par prendre position, bien que timidement. Ursula von der Leyen a interpellé Viktor Orbán cette semaine, rappelant que « marcher pour vos droits est une liberté fondamentale (…) J’appelle les autorités hongroises à permettre la tenue de la Pride sans faire craindre de sanctions pénales ou administratives à l’encontre des organisatrices ou des participants ».

Un appel clair à respecter les libertés fondamentales, dans un contexte où la Hongrie est déjà dans le viseur de Bruxelles pour ses atteintes répétées à l’État de droit. Sans surprise, la réponse du Premier ministre n’a pas tardé, accusant une nouvelle fois Bruxelles d’ingérence et demandant à la Commission européenne de ne pas interférer dans les affaires internes des États membres. 

Pour vivre heureux, vivons cachés

Depuis son retour au pouvoir en 2010, les gouvernements successifs menés par Viktor Orbán ont fait des personnes LGBTQ+ l’une des cibles principales du régime, qui défend les valeurs chrétiennes et la famille traditionnelle. Dès 2012, la nouvelle Loi fondamentale hongroise redéfinit le mariage comme « l’union entre un homme et une femme », excluant de fait toute reconnaissance des couples homosexuels.

En 2020, une réforme interdit le changement de genre à l’état civil et prive les couples homosexuels du droit d’adoption. L’année suivante, une loi, directement inspirée du modèle russe, assimile les contenus LGBTQ+ à de la « propagande sexuelle ». Sous prétexte de « protection de l’enfance », elle interdit toute promotion ou affichage de l’homosexualité auprès des mineurs, et met sur le même plan l’homosexualité et la pédophilie. 

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L’Union européenne ouvre alors une procédure d’infraction à l’encontre de la Hongrie, jugeant le texte contraire aux valeurs fondamentales de l’UE. En réponse, le Premier ministre organise un référendum anti-LGBTQ+, souhaitant réaffirmer la légitimité de la loi et démontrer qu’elle répondrait à la volonté populaire.

Pour Orbán, l’homosexualité serait une menace venue de l’Ouest : « En Europe occidentale, des militants LGBTQ visitent les jardins d’enfants et les écoles. Ils veulent faire la même chose en Hongrie. Voilà pourquoi les bureaucrates de Bruxelles nous menacent et lancent des procédures d’infraction. Seule la volonté du peuple peut protéger la Hongrie ». Toutes ces initiatives ont eu pour conséquence d’instaurer « un climat de peur, qui relègue la communauté LGBTQ+ dans l’ombre » rapporte Amnesty International, dans un rapport intitulé « De la liberté à la censure : conséquences de la Loi de propagande hongroise ».

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Mais cette offensive politique ne reflète qu’en partie la réalité du pays. Sur le terrain, une autre Hongrie se dessine. Une marche des fiertés est organisée à Pécs depuis 2021, des soirées de rencontres sont organisées deux fois par mois à Debrecen, des adolescents témoignent d’un soutien croissant de leurs pairs, et des parents changent peu à peu de regard. Dans une société marquée par le conservatisme, cette évolution demeure fragile, mais perceptible.

D’après le dernier rapport ILGA, 56 % des Hongrois sont favorables à l’adoption pour les couples du même sexe et 62 % pensent que c’est à l’État de protéger les personnes LGBTQ+ des discriminations. En dix ans, le soutien au mariage pour tous a augmenté de 150 %. À rebours du discours gouvernemental, la société hongroise semble de plus en plus prête à accepter cette diversité, malgré le climat de peur et de stigmatisation instauré par le pouvoir. Un mouvement de fond que ni les lois ni les référendums ne semblent pouvoir enrayer.