Le déclin de l’influence du ministère des Affaires étrangères polonais et le partage flou des responsabilités en matière de politique extérieure entre les différents départements sapent la position internationale du pays. Surtout, les diplomates étrangers plongent dans l’incertitude dès qu’il s’agit de savoir qui parle au nom de Varsovie. Une nouvelle proposition de réforme pourrait aggraver la politisation et la mauvaise gestion de l’appareil diplomatique polonais.
Cette article de Paweł Wiejski a été originellement publié le 12 février 2021 par notre partenaire Notes From Poland sous le titre “Who do I call if I want to reach Poland?” Warsaw’s divided diplomacy is undermining foreign policy. Traduit depuis l’anglais par Thomas Laffitte.
« L’Europe, quel numéro de téléphone ? » – cette citation apocryphe, souvent attribuée à l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger, symbolise la difficulté qu’a l’Union européenne à présenter une voix unifiée en matière de politique étrangère. Aujourd’hui, la situation en Pologne n’est pas si différente. Lorsqu’on lui demande qui il appellerait s’il voulait joindre la Pologne, Witold Jurasz, un ancien diplomate et journaliste, s’arrête et répond : « Je n’en ai aucune idée. »
« Ce ne serait pas si mal si je pouvais au moins vous dire que c’est Jarosław Kaczyński », dit-il, en faisant référence au chef du parti au pouvoir, le Parti Droit et Justice (PiS), qui, bien que n’ayant officiellement que le titre de vice-premier ministre, est la figure dominante du gouvernement. « Mais il se soucie de tout, sauf de politique étrangère ».
La marginalisation du ministère des Affaires étrangères
À Varsovie, de plus en plus de voix s’élèvent dans les cercles diplomatiques étrangers pour dire que l’institution censée coordonner la politique étrangère ne fait pas son travail. « Ce que nous constatons, c’est une perte d’influence continue [du ministre des Affaires étrangères] », déclare à Notes from Poland un diplomate étranger, qui a demandé à ne pas être nommé. « Je suis vraiment surpris par l’apparence extrêmement faible de l’actuel ministre des Affaires étrangères », a-t-il ajouté, suggérant que Zbigniew Rau est responsable de nombreuses lacunes du ministère.
« Le ministère des Affaires étrangères ne joue pas son rôle. Il est devenu complètement marginalisé », affirme Jurasz. Pourtant, avant même le mandat du président sortant, le démantèlement du ministère des Affaires étrangères était déjà en cours depuis des années.
En novembre 2019, les départements traitant de la politique européenne ont été placés sous la supervision du bureau du Premier ministre. Le ministère a ainsi perdu Konrad Szymański, vice-ministre des Affaires européennes, technocrate expérimenté jouissant d’une très bonne réputation à Bruxelles et entretenant « d’excellentes » relations de travail avec certains des diplomates avec lesquels Notes from Poland s’est entretenu.
En janvier de cette année, le bureau du Président Andrzej Duda a encore alimenté les inquiétudes concernant l’érosion des compétences du ministère des Affaires étrangères. Krzysztof Szczerski, ancien chef de cabinet de Duda, a été chargé de créer un bureau de politique internationale pour soutenir le président. Le nouvel organe prendra forme au cours des deux prochains mois et s’occupera principalement des relations transatlantiques et de l’initiative des trois mers.
Pour compliquer encore les choses, quelques jours seulement après l’annonce du président, le parti au pouvoir a dévoilé son propre bureau international destiné à gérer les relations avec les groupes conservateurs étrangers. Radosław Fogiel, porte-parole adjoint du parti et nouveau directeur du bureau, a déclaré à Interia que cet organisme n’était pas destiné à faire contrepoids à l’initiative du président et qu’il ne concurrencera pas le ministère des Affaires étrangères pour le contrôle de la politique étrangère.
Trop de pièces en mouvement
La répartition des compétences en matière de politique étrangère entre les institutions a des précédents dans d’autres pays. De nombreux États membres de l’UE disposent d’un ministère des Affaires européennes autonome. Souvent, les Présidents jouent également un rôle important dans les relations internationales, ce qui entraîne parfois des conflits entre eux et le gouvernement, surtout lorsque le Président est issu d’un camp politique différent de la majorité parlementaire.
En République tchèque, par exemple, le président Miloš Zeman entretient des liens étroits avec le Kremlin depuis son entrée en fonction en 2013, sapant ainsi les initiatives anti-russes prises par les précédents gouvernements.
« Lorsque j’ai interrogé l’un des vice-ministres des Affaires étrangères sur l’invitation de Tsikhanouskaya, il m’a répondu qu’il n’en avait aucune idée, car ils ne s’occupent pas de cela »
Mais le problème de la Pologne ne réside pas seulement dans le nombre d’institutions impliquées dans la politique étrangère, mais aussi dans leur manque de coordination. Jurasz souligne qu’ailleurs dans le monde, la diplomatie est une structure verticale, alors qu’en Pologne les institutions sont complètement séparées. « Aucun des pays qui pèsent un minimum dans les relations internationales n’a un système similaire », nous dit-il. « C’est une structure anormale qui ne peut tout simplement pas fonctionner. »
Jurasz se souvient d’un exemple de manque de coordination qui a abouti à une catastrophe diplomatique. En septembre dernier, M. Morawiecki a invité le leader de l’opposition bélarussienne Sviatlana Tsikhanouskaya à un sommet régional à Lublin. L’invitation a ensuite été révoquée parce que le Premier ministre tchèque, Andrej Babiš, n’a pas accepté de la rencontrer. Selon M. Jurasz, M. Morawiecki n’a pas informé le ministère des Affaires étrangères de ses projets et les autres pays n’ont donc pas été consultés avant de lancer l’invitation.
« Lorsque j’ai interrogé l’un des vice-ministres des Affaires étrangères sur l’invitation de Tsikhanouskaya, il m’a répondu qu’il n’en avait aucune idée, car ils ne s’occupent pas de cela », explique M. Jurasz, notant que la réputation de la Pologne vis-à-vis du Belarus – où elle a cherché à jouer un rôle de premier plan dans la réponse de l’UE aux élections de l’année dernière – en a souffert.
La politique s’en mêle
Malgré ces remous administratifs, tous les diplomates à qui nous avons parlé s’accordent à dire que le bon fonctionnement du ministère de Affaires étrangères a été rendu possible grâce à la fiabilité des employés de niveau inférieur et intermédiaire. La direction n’a cependant pas reçu d’éloges semblables.
« Lorsque nous voulons parler à un directeur général ou à un sous-ministre, nous n’obtenons rien de la discussion », dit un diplomate. « Leur discours est purement idéologique et n’est lié à aucun fait ni à aucune action que la diplomatie polonaise va entreprendre ».
Un autre a noté que, lors des négociations animées sur le budget de l’UE en décembre 2020, auxquelles la Pologne a menacé d’opposer son veto, certains vice-ministres – en particulier Szymon Szynkowski vel Sęk et Paweł Jabłoński (qui a refusé de commenter pour cet article) – ont agi comme « un chœur politique », mais à leur connaissance « n’ont eu aucune influence sur les négociations proprement dites ».
Un personnel qui manque d’expérience
Une semaine après avoir quitté ses fonctions en août dernier, dans une interview au quotidien Rzeczpospolita, l’ancien ministre des Affaires étrangères Jacek Czaputowicz a fait remarquer que ni son successeur, Rau, ni ses adjoints au ministère n’avaient d’expérience dans la conduite de la diplomatie.
Cependant, Czaputowicz lui-même a fait l’objet de critiques pour avoir supervisé une diminution de l’influence du ministère. Son prédécesseur, Witold Waszczykowski, a déclaré à Notes from Poland l’année dernière que « les questions de sécurité ont été prises en charge par les cercles du président, tandis que les relations européennes sont désormais du ressort du bureau du Premier ministre ».
Concernant les affirmations selon lesquelles les vice-ministres manquent d’expérience diplomatique, M. Jurasz note que « toutes ces personnes ont été nommées à la demande de… Czaputowicz » lui-même. Il ajoute que la politisation des nominations diplomatiques remonte à Radosław Sikorski, qui dirigeait le ministère lors des précédents gouvernements de la Plate-forme civique de 2007 à 2014.
Réforme du système de nomination des ambassadeurs
Après des années de politiques qui ont rongé les compétences du ministère, Rau a annoncé le 15 janvier sa propre réforme globale du service diplomatique. Le projet de loi a été adopté quelques jours plus tard par le Sejm, sans consultation publique. Lorsqu’il entrera en vigueur, ce qui pourrait se produire au plus tôt en mars, il modifiera radicalement l’organisation du ministère des Affaires étrangères.
L’élément principal de la réforme introduit un nouveau système de nomination des ambassadeurs. Les exigences du poste seront revues à la baisse : les candidats ne seront plus tenus de parler deux langues étrangères, de passer des examens diplomatiques ou même d’avoir fait des études supérieures (auparavant, ils devaient avoir au moins un master). Selon les partisans de la réforme, la fonction d’ambassadeur est politique, de sorte que le processus de nomination devrait être séparé du reste du service diplomatique, qui, de l’avis du gouvernement, est entaché par son héritage communiste.
Dans une interview à l’Agence de presse polonaise, Zbigniew Rau a déclaré que les ambassadeurs seront sélectionnés en dehors du service diplomatique. Toutefois, le projet de loi ne contient aucune disposition de ce type qui le stipule explicitement. Selon Jurasz, Rau a peut-être révélé la véritable intention derrière la réforme. « Cela voudrait dire que les diplomates de carrière ne peuvent pas devenir ambassadeurs. C’est de la folie. Il n’y a aucun pays sur Terre où c’est le cas », dit-il.
Tous les diplomates interrogés par Notes from Poland ont également exprimé leur inquiétude face aux changements proposés. « Je trouve inquiétant que la diplomatie soit confiée à des personnes qui ne parlent pas de langues étrangères et n’ont pas de diplôme. Il ne s’agit pas seulement de rédiger des notes, c’est un développement tout au long de la carrière, vous devez avoir des compétences pour vous développer », dit l’un d’entre eux.
Dans la plupart des pays, les postes d’ambassadeur sont rarement politiques. « Cela dépend beaucoup de l’ambassade elle-même et du niveau de travail de la diplomatie avec laquelle vous traitez. Il est impossible de faire la différence entre le niveau de travail de l’ambassade et le poste d’ambassadeur. Cela ne fonctionnera pas, à quelques exceptions près, peut-être les États-Unis, Moscou ou Pékin », déclare un autre diplomate.
Un troisième diplomate a été plus direct. « Avec la nouvelle loi sur le service diplomatique, les diplomates seront nommés pour des raisons politiques », dit-il. « En interne, on les appelle les commissaires politiques », ajoute-t-il, en référence au passé communiste de la Pologne avec lequel la réforme proposée veut rompre.