Au moment où l’Europe de l’Ouest s’inquiète d’une contagion « populiste », et pointe l’Europe centrale comme l’anti-modèle, des lumières apparaissent au bout du tunnel en Slovaquie, en Pologne, en Hongrie… Et si le national-populisme n’était bientôt plus qu’un mauvais souvenir ?
Éditorial – Sauf accident, la Slovaquie devrait se doter samedi d’une présidente à mille lieues d’un Viktor Orbán, l’homme qui se veut le fer de lance de la région. En la personne de Zuzana Čaputová, une femme, issue de la société civile, avocate environnementaliste, progressiste (lire son portrait ici). Certes, ce ne sera pas une révolution, et cela pour deux raisons : parce que, comme en Allemagne et ailleurs dans la région, le président est cantonné à un rôle essentiellement symbolique, et parce que le président sortant Andrej Kiska était déjà considéré comme un homme d’ouverture et de dialogue. Il n’empêche, l’élection de Čaputová contrasterait fortement avec l’image erronée d’une Europe centrale monolithique et vouée au conservatisme et à l’autoritarisme. Comme le jeune maire de Bratislava – Matúš Vallo – qui n’est pas issu du sérail politique, Čaputová pourrait bien ringardiser la vieille garde populiste emmenée par Robert Fico, qui a passé plus d’une décennie au pouvoir, en faisant alliance avec les nationalistes. Bien sûr, en toile de fond il y a l’assassinat du journaliste Ján Kuciak, il y a un an, qui a réveillé la société qui réclame maintenant des comptes à ses dirigeants.
Chez les voisins tchèques, malgré les cris alarmistes de ses opposants, l’oligarque Andrej Babiš est encore loin de démanteler le système démocratique comme en Hongrie et en Pologne. Au contraire, le jeu parlementaire fonctionne et contraint Babiš à rechercher le compromis, les médias publics se font très critiques de son gouvernement et la justice reste indépendante. Preuve en est, l’annonce cette semaine selon laquelle Babiš et ses proches devront bientôt faire face aux tribunaux pour détournement de fonds européens. De nouveaux venus sur la scène politique, apportent un vent de fraîcheur, comme ces Pirates qui ont fait fureur aux dernières municipales, menant même un des leurs au poste de maire de Prague.
En Pologne et en Hongrie, les nationaux-conservateur du PiS et du Fidesz pêchent par excès d’arrogance, poussent les ennemis d’hier à faire cause commune et se trouvent par conséquent à la merci d’un front commun de leurs opposants. Rien ne dit que le Droit et Justice, le PiS, qui a échoué à conquérir les villes importantes à l’automne dernier, se maintiendra au pouvoir à l’issue des législatives en fin d’année.
Côté hongrois, l’affaire est plus compliquée car le Fidesz est plus enraciné, après presque dix années à verrouiller son pouvoir. Mais là aussi il y a des raisons d’espérer un retour, à moyen terme, à une démocratie plus saine. Boostée par un hiver de contestation sociale où tous les partis se sont donné la main avec les syndicats et des étudiants, l’opposition a repris quelques couleurs. Budapest a de bonnes chances de redevenir, l’automne prochain, le bastion libéral qu’elle n’avait cessé d’être juqu’à 2010. Et pour faire sauter le verrou du Fidesz, tous les partis de l’opposition s’allient contre le « parti unique » en vue des municipales. Les accords de coalition tombent les uns après les autres, dans des villes d’importance telles que Veszprém ou encore Székesfehérvár, ville hautement symbolique puisque c’est là qu’est né Viktor Orbán et qui représente une vitrine de la Hongrie chrétienne, bourgeoise et provinciale (la polgári Magyarország) prônée par le Fidesz.
S’ils sont encore les forces politiques principales, la victoire idéologique du PiS et du Fidesz n’est que poudre aux yeux. Les discours empreints de cléricalisme de Viktor Orban convainquent-ils réellement une société hongroise au sein de laquelle l’Église ne joue qu’un rôle marginal et qui est en voie accélérée de sécularisation ? On peut en douter. Le phénomène Biedron dans la catholique Pologne – qui ne veut rien moins que la séparation de l’Église et de l’État – illustre en lui-même la diversité des projets de sociétés dans la région.
Cela pourra prendre du temps, mais une chose est sûre, l’Europe centrale n’est pas condamnée à rester embourbée dans le conservatisme et le populisme.