Cinéma : « L’oiseau bariolé », du Tchèque Václav Marhoul

« L’Oiseau bariolé », une coproduction Tchéquie-Slovaquie-Ukraine, tournée en 2019 par Václav Marhoul, vient de sortir en Blu-Ray chez Spectrum Films.

Le film suit le parcours d’un garçon d’une dizaine d’années, confié par ses parents persécutés à une parente éloignée. La vieille femme meurt et le garçon se retrouve seul, errant dans la campagne, de village en village, de ferme en ferme. Alors qu’il lutte pour sa survie, le garçon subit la brutalité extraordinaire des paysans ignorants et superstitieux et il est témoin de la violence terrifiante de soldats impitoyables, russes et allemands.

Dans une scène centrale, l’un des paysans montre au garçon le vol d’un oiseau capté, que l’homme a bariolé, puis relâché dans son propre troupeau. L’oiseau est immédiatement déchiré parce qu’il est différent de ses congénères. Cette leçon renforce ce que le garçon sait déjà et ce qu’il éprouvera bientôt : la différence est fatale.

Mais il y a de rares moments d’humanité : un soldat allemand épargne le garçon, un prêtre intervient en sa faveur, et enfin le garçon devient le protégé d’un tireur russe, qui est gentil avec lui, mais impitoyable avec l’ennemi. Et il y a des signes d’amour. Le garçon est séduit par une fille plus âgée, redécouvrant enfin le confort de l’intimité, pour finalement réaliser qu’il a été utilisé.

Lorsqu’il est miraculeusement réuni avec son père affaibli à la fin de la guerre, le garçon est froid et impénétrable, endurci par son épreuve. Pourtant, nous pouvons encore entrevoir quelque chose de l’ancien garçon sensible derrière les yeux du nouveau. Il y a peut-être un espoir.

Basé sur le best-seller de Jerzy Kosinski

Basé sur le best-seller mondial éponyme de Jerzy Kosinski, le film est une évocation de l’Europe de l’Est sauvage et primitive à la fin sanglante de la Seconde Guerre mondiale. Dans son temps, le livre a fait éclater la controverse, lorsqu’il a été révélé que l’histoire n’était pas autobiographique, comme le prétendait Kosinski. L’écrivain a ainsi reçu des condamnations sévères qui ont marqué la fin de sa vie, qui s’est terminée prématurément par un suicide. La vérité est cependant que les atrocités décrites ont réellement eu lieu en Europe de l’Est à cette époque et qu’elles ne relèvent donc malheureusement pas de la fiction, contrairement à l’histoire du petit héros.

Le paysage d’Europe de l’Est, avec ses forêts, ses prairies, ses collines, ses villages pauvres éparpillés et ses rivières, joue un rôle important dans le voyage du petit garçon. L’enfant se perd parfois dans les hautes herbes, dans le maïs, dans les roseaux ou les bois. Tout se déroule à un rythme lent, en suivant le cours de la rivière qui coule, selon Marhoul. Ce concept réfléchi s’accompagne d’une bande sonore intéressante, avec un minimum de dialogues et presque pas de musique, mais qui met l’accent sur les sons et le silence.

« Mon défi était d’emmener les spectateurs du film dans ce voyage, de les conduire vers cet espoir. »

Václav Marhoul

Les personnages parlent plusieurs langues : Joska et son père en tchèque, les Soviétiques et les Allemands dans leur langue maternelle, et pour les habitants des campagnes, les créateurs ont choisi une langue artificielle, une sorte de slave ou d’« espéranto slave » pour « brouiller » l’identification nationale.

Conformément à sa conception, Marhoul a choisi un film en noir et blanc et un format grand écran (tourné chronologiquement sur du 35 mm), dans lequel l’impressionnante cinématographie poétique de Vladimír Smutný, déjà récompensée par plusieurs prix, est pleinement exploitée. Le réalisateur a confié le rôle principal à Petr Kotlár, tandis que les autres rôles sont interprétés par des stars internationales comme Udo Kier, Stellan Skarsgård, Harvey Keitel et Julian Sands, ainsi que par des acteurs tchèques, polonais, russes, slovaques et ukrainiens.

« Je crois qu’il s’agit d’une histoire totalement intemporelle et universelle – de la lutte entre l’obscurité et la lumière, le bien et le mal, la foi profonde et la religion déguisée et bien d’autres oppositions », dit Václav Marhoul. « L’histoire m’a obligé à me poser de nombreuses questions difficiles et à lutter, seul, pour trouver les réponses. J’ai été laissé dans le doute quant à la finalité et au destin de l’Homo sapiens en tant qu’espèce et ces doutes m’ont tellement marqué que j’ai dû me raccrocher à tout ce qui était positif. »

« Et c’est précisément là que réside la magie : ce n’est que dans l’obscurité que j’ai pu voir la lumière. En affrontant le mal, je suis arrivé à la conviction inébranlable que le bien et l’amour doivent nécessairement exister. Du moins, c’est ainsi que j’ai lu « L’oiseau bariolé ». Je crois que l’espoir brille à travers toute l’horreur. Mon défi était d’emmener les spectateurs du film dans ce voyage, de les conduire vers cet espoir. C’était un défi de vie ou de mort pour moi. »

Le film a été tourné essentiellement sur le territoire de l’Ukraine, avant la guerre, et sa préparation a pris onze ans à Marhoul. Sa première a eu lieu dans la compétition principale du Festival du film de Venise 2019, il a été vendu par la société Celluloïd dreams à travers le monde entier, il a obtenu de nombreux prix, et a été nominé pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère pour la République tchèque.

Né en 1960, Marhoul est un réalisateur, producteur et scénariste tchèque, membre de la compagnie Divadlo Sklep (« Théâtre de la cave ») et de l’ensemble Pražská pětka (« Les Cinq de Prague »). Diplômé de l’école de cinéma et de télévision de l’Académie des arts du spectacle de Prague (FAMU), après la Révolution de Velours, il a travaillé pendant sept ans en tant que directeur général des Studios de cinéma Barrandov, puis en tant que directeur de l’association artistique et la galerie Tvrdohlaví (« Les têtus »). Marhoul a réalisé trois long-métrages : « Mazaný Filip », « Tobrouk » et « L’oiseau bariolé ». Crédit : Lukas Marhoul / Creative Commons
Markéta Hodouskova

Consultante cinéma

Née à Prague, elle a étudié à l’Université Charles à Prague, à La Sorbonne Nouvelle à Paris et à l’Université de Bourgogne à Dijon. Elle réside en France depuis 2002. Elle a été coordinatrice pour les pays de l’Europe Centrale et Orientale au sein d’Europa Cinemas, puis déléguée générale de la Confédération Internationale des Cinémas d’Art et d’Essai. Elle est fondatrice du CZECH-IN Film Festival de cinéma tchèque et slovaque à Paris, ainsi que de Kino Visegrad.