Chute du Mur et réunification : un arrêt de mort pour la Trabant ?

Vous m’imaginez paradant avec ma petite Trabi sur les Champs à Paris, le succès que je me serais taillé ! De quoi détrôner les frimeurs avec leur Ferrari.

Au moment de la chute du Mur de Berlin, suivie onze mois plus tard de la Réunification (octobre 90), je résidais en Allemagne, à Francfort-sur-le-Main. Une période que je ne suis pas prêt d´oublier. Une remarque à ce propos : tout le monde évoque le Mur, mais il y avait peut-être encore plus spectaculaire : ces routes coupées en rase campagne, séparant souvent des villages très proches. Avec un no man’s land de deux ou trois cents mètres de terre battue semée de barbelés. Et ce sur une bande de plusieurs centaines de kilomètres.[1]Au point que, dans les semaines qui suivirent la réunification, la frontière, si elle était supprimée au plan douanier, constituait encore un sérieux obstacle matériel : par les travaux de réfection des voies sur les tronçons détruits, provoquant d´impressionnants bouchons sur les autoroutes.

Autre souvenir qui nous avait alors peinés : la réaction de certains ressortissants de l´Ouest considérant leurs frères des « Nouveaux Länder » comme des paresseux incultes qui n´ont qu´à rester chez eux. Les qualifiant du terme méprisant d´Ossies (prolos de l´Est).[2]Ce qui me rappelle une réaction entendue chez certains Hongrois vis-à-vis de leurs frères de Transylvanie : « Nous vous aimons bien, mais restez surtout chez vous ! ». Un témoignage : alors qu´avait été voté un impôt supplémentaire de 1 % (mais sur un an seulement) destiné à financer la réunification (le « Zuschlagsteuer« ), un ami français qui s´en acquittait volontiers me racontait que son épouse allemande était furieuse et pestait comme tout ! (Le plus cocasse dans l´histoire est qu´elle était née en Allemagne de l´Est… Mais bon, fort heureusement, cela n´a guère duré et aujourd´hui, la différence ne se fait plus sentir.

Puisque j´évoque des souvenirs, celui qui m´est peut-être le plus cher est l´arrivée, dès le week-end qui suivit, de ces voisins venus en masse goûter aux charmes du « monde libre ». Débarquant avec leurs voitures, précisément garées sous nos fenêtres. A vrai dire, outre le plaisir de se trouver pour un jour « à l´Ouest », beaucoup étaient aussi venus avec une intention plus terre-à-terre : se débarrasser de leurs carrioles de marques socialistes pour les échanger et acheter à prix raisonnable des voitures d´occasion de marques occidentales. C´est là que j´ai raté une occasion en or : me procurer une Trabant. Vous m´imaginez paradant avec ma petite Trabi sur les Champs à Paris, le succès que je me serais taillé ! De quoi détrôner les frimeurs avec leur Ferrari.

Une Trabant quelque part dans le 9e arrondissement de Budapest le 9 novembre 2019. (@Courrier d’Europe centrale)

Quand je l´évoque aujourd´hui à mes amis Hongrois, tous s´esclaffent, insinuant qu´avec un tel machin, jamais je ne serais parvenu jusqu´à Paris. Pas si sûr ! Deux exemples : ma rencontre au sommet du Großglockner (2500 m) d´une Trabant apparemment non traumatisée et guère essoufflée qui peut-être, de par son faible poids, aura eu moins de difficultés pour se hisser là-haut que certaines rivales de chez nous. Autre exemple : cette Trabant (immatriculée en Hongrie) trouvée stationnée devant une villa de luxe au Cap Ferrat (à plus de 1 500 km de chez elle).

Plus sérieusement, il est clair que j´ai bien fait de renoncer à cet achat. Un caprice, une lubie vite oubliée. Car, qu´en aurais-je fait aujourd´hui, sinon que de la reléguer au fond d´un box ? D´autant que les pièces détachées doivent aujourd´hui coûter une petite fortune. Néanmoins, ceux qui la traitent avec mépris ont tort. Ils oublient qu´à l´époque, c´était pour beaucoup le seul moyen de se procurer une voiture à prix raisonnable, sans attendre de longs mois. Ce qui me rappelle, toutes proportions gardées, le succès dans les années cinquante de notre 2 CV ou de la Vespa 400.

Certes, il n´est plus possible aujourd´hui de distinguer, sinon par leur matricule, les voitures venues de l´Est ou de l´Ouest de l´Allemagne. Par contre, il n´en demeure pas moins que nous assistons, du moins en Hongrie, à une multiplication des cercles d´amateurs, propriétaires amoureux de Trabants ou de Ladas (la Fiat russe).

Voilà que justice est rendue. Souhaitons-lui encore longue vie !

Notes

Notes
1 Au point que, dans les semaines qui suivirent la réunification, la frontière, si elle était supprimée au plan douanier, constituait encore un sérieux obstacle matériel : par les travaux de réfection des voies sur les tronçons détruits, provoquant d´impressionnants bouchons sur les autoroutes.
2 Ce qui me rappelle une réaction entendue chez certains Hongrois vis-à-vis de leurs frères de Transylvanie : « Nous vous aimons bien, mais restez surtout chez vous ! ». Un témoignage : alors qu´avait été voté un impôt supplémentaire de 1 % (mais sur un an seulement) destiné à financer la réunification (le « Zuschlagsteuer« ), un ami français qui s´en acquittait volontiers me racontait que son épouse allemande était furieuse et pestait comme tout ! (Le plus cocasse dans l´histoire est qu´elle était née en Allemagne de l´Est…
Pierre Waline

Diplômé des Langues'O (russe, hongrois, polonais), Pierre Waline est spécialiste de l'Europe centrale et orientale. Il vit a Budapest où il co-anime entre autres une émission de radio.