À Lviv, en attendant les combats, une vie (presque) ordinaire

« En une semaine, avec la guerre, tout a changé », nous dit Stefanie. Reportage à Lviv dans l’ouest de l’Ukraine, où la population vit au jour le jour, en se préparant pour le pire.

Texte et photos de notre envoyée spéciale à Lviv, en Ukraine occidentale.

Le tram fonctionne normalement, les rues ne sont pas bloquées, les paiements par carte bleue sont toujours possibles, il n’y a pas la queue devant les distributeurs de billets. Et si les supermarchés manquent de certains produits – sarrasin, riz, farine, sucre et céréales – « c’est parce qu’ils font du stock. Nous sommes encore livrés tous les jours », explique le gérant d’une supérette proche du centre.

Lviv, 700 000 habitants, tout à l’Ouest de l’Ukraine, se trouve à 500 kilomètres de la ligne de front. L’un des endroits les plus sûrs du pays. C’est la raison pour laquelle la ville est en train de devenir la capitale diplomatique du pays. La France, Israël, le Canada ou encore les États-Unis y ont déjà déménagé leur ambassade.

Pourtant, les habitants ont commencé à quitter la ville, pour fuir vers la Pologne ou la Roumanie. De nombreux commerces ont baissé leur rideau. Près de la gare routière, au nord de la ville, la quincaillerie d’Andriy est le seul commerce encore ouvert : « Les autres sont partis à cause de la guerre. Tant que ça va, je reste. » Les Ukrainiens ont-ils besoin de cadres et de boutons de porte ? « Non, ce que je vends surtout, ce sont des piles et des batteries. »

À la gare ferroviaire, des familles entières serrées les unes contre les autres.

Dans une animalerie, les ventes de caisses de transport, tranquillisants et croquettes ont augmenté. Dans un bureau de poste, Galena, la guichetière, s’ennuie presque : « Nous n’avons presque plus de courrier ni de colis, surtout que les liaisons avec la Russie ont été supprimées. » Les appartements se vident mais les hôtels se remplissent, et c’est devenu presque impossible de trouver une chambre.

À la gare ferroviaire, des familles entières serrées les unes contre les autres, qui mangent à même le sol, de très longues queues pour essayer de prendre le prochain train pour la Pologne, la fatigue et le désespoir sur des milliers de visages, rappellent que la guerre est toute proche, et que l’apparente tranquillité de la ville pourrait prendre fin d’un moment à l’autre.

Les habitants et les autorités s’organisent : la ville est entourée de check-points, les abris où se réfugier en cas d’alerte sont répertoriés sur le site de la mairie, des bénévoles patrouillent dans les quartiers. À Coffee Manufacture, dans l’hypercentre, il faut montrer son passeport pour entrer – les citoyens russes et biélorusses sont interdits d’accès. Les grandes fenêtres de l’établissement sont recouvertes de scotch, et les pertes de l’armée russe sont affichées sur la porte d’entrée.

Juste en face, comme d’autres statues dans le vieux centre, Diane est emballée dans du plastique, censé protéger la déesse grecque en cas d’attaque. Dans une brasserie voisine, on fabrique des cocktails molotov. Les habitants se préparent à la guerre, ou au départ.

« La région est encore calme, mais la situation est très inquiétante, admet Inna Kurchenko, 27 ans, serveuse au café Lviv Croissant. Mais nous vivons au jour le jour, sans savoir ce qui nous attend le lendemain. Je suis en colère contre les Russes, même mes amis russes, je ne veux plus leur parler. Ma sœur a de la belle-famille en Sibérie, les relations avec eux sont très tendues. Ils ne mentionnent pas la guerre, mais elle refuse de leur parler en russe… ».

À partir de 20 heures, l’impression d’une vie normale se dissipe complètement.

Mais la vie normale, en apparence, continue : dans un parc, une grand-mère fait des châteaux de sable avec son petit-fils. Pourtant, Stefanie Kraievska, 65 ans, retraitée, n’a plus l’impression de vivre dans la même ville : « En une semaine, avec la guerre, tout a changé. Beaucoup sont partis à l’étranger, il y a moins de monde dans les rues, on a très peur pour nos enfants, il faut se mettre à l’abri dans les caves, mais les Ukrainiens sont solidaires et unis contre le mal qui veut envahir notre nation. »

À partir de 20 heures, l’impression d’une vie normale se dissipe complètement : c’est le début du couvre-feu, qui dure jusqu’à six heures du matin. Dehors, il n’y a plus que les réfugiés, qui arrivent de toute l’Ukraine par le train ou en voiture. Même tard, ils font la queue pour s’enregistrer auprès de l’administration, trouver un abri pour la nuit, et continuer leur voyage vers la paix.

Article publié avec le soutien de Heinrich Böll Stiftung | Bureau Paris.

Justine Salvestroni

Journaliste indépendante, collaborant avec de nombreux titres de la presse francophone.