A l’occasion de la rentrée de l’association Les Petits Mousquetaires, Cargonomia a concocté un dimanche familial dans la nature pour ses membres. Les familles franco-hongroises ont pu visiter et participer à la vie de la ferme Zsámboki Biokert, située à une petite heure en voiture de Budapest. Entre ville et campagne, et dans le mélange des langues et des cultures, une telle journée favorise les échanges, la création de liens et surtout une transition vers de nouveaux imaginaires !
Par Clément Choisne et Loéna Trouvé*
A mesure que le soleil monte dans le ciel, les villages que nous traversons s’animent. Nous nous enfonçons dans la campagne, entre les arbres qui défilent les premiers champs apparaissent, la nature reprend le contrôle, les couleurs de l’automne sont déjà là. Les trois enfants à l’arrière de la voiture sont excités, ils jonglent entre le hongrois et le français. Delphine, la maman, est française et le papa est hongrois. Dans quelques minutes, ils retrouveront leurs copains et copines des Petits Mousquetaires. Fondée en 2017 à Budapest, l’association à but non lucratif s’appuie sur un réseau de parents français et francophones bénévoles. Elle accueille plus de quarante enfants francophones âgés de 0 à 12 ans. Entre un programme d’activités linguistiques et culturelles extrascolaires hebdomadaires et des événements ponctuels en famille, il s’agit de « soutenir, amplifier et structurer les connaissances de la langue et la culture française », tout en créant du lien. Aujourd’hui, c’est la première rencontre familiale de rentrée. Enfants comme parents se voient offrir la possibilité de troquer leur jardin pavillonnaire, trop petit, pour les grandes étendues d’une ferme, une vraie.
C’est un matin calme dans le village de Zsámbok, la destination du jour. De part et d’autre de la rue principale, les maisons se dressent fièrement derrière des parterres de fleurs. Il faut passer un portail pour découvrir la ferme de Zsámboki Biokert, où le soleil réchauffe déjà les longs champs de l’exploitation. Dimanche est synonyme de repos, mais en semaine et à la même heure, les champs sont déjà animés par une dizaine de travailleurs hongrois, qui échangent à la volée les objectifs de récolte : « öt kilo, thirty-two bunches… ». En hongrois bien sûr, mais aussi en anglais et même en français parfois, car l’équipe est toujours heureuse d’accueillir des volontaires motivés pour apprendre les techniques d’agriculture expérimentées sur place.
Matthew, propriétaire de l’exploitation, a quitté ses terres britanniques pour venir s’installer dans le pays de sa compagne. Ils y ont fondé ensemble Zsámboki Biokert en 2010, dans la continuité d’autres projets agricoles passés. Les 4 hectares sont consacrés à l’agriculture biologique, à la biodynamie et à l’expérimentation de techniques permacoles. Pas de pesticides chimiques ni de mécanisation ici, mais de bons outils, un travail éclairé du sol, de la biodiversité et la rotation des plantations au fil des ans. Multiculturalisme, souci environnemental et social, désir d’ouverture… Les engagements de cette ferme en font le terrain rêvé des visiteurs. Aujourd’hui, c’est le tour de familles franco-hongroises, habitant Budapest. En parcourant une cinquantaine de kilomètres, elles contribuent à renforcer les liens déjà bien présents entre le village et la capitale hongroise. Cette dernière est la principale débouchée de Zsámboki Biokerti, dans une logique de circuit-court. Avec les paniers de légumes livrés une fois par semaine et les marchés du week-end, les équipes de l’exploitation s’invitent toutes les semaines en ville. Aujourd’hui, c’est à la ville de rencontrer la campagne.
Dix heures sonnent, et les familles arrivent. Amis de longues dates ou nouveaux venus, les premiers mots sont échangés tantôt en français, tantôt en hongrois. Les enfants courent déjà partout : le bonheur suit l’excitation, ils s’apostrophent, s’émerveillent. Certains contemplent même l’horizon, car pour les petits citadins, ce n’est pas si fréquent de pouvoir le faire. On peut, à Zsámbok, laisser courir son regard, le poser et découvrir. Du vert partout, des salades, de la terre, des arbres et des animaux, le soleil qui orchestre la danse. Quand un enfant pose un pied dans cette étendue qui ne semble plus finir, c’est un terrain de jeu qui s’offre à lui. Le calme dominical est d’ores et déjà bousculé.
Cargonomia : une interface créatrice de solutions pour aujourd’hui et demain
La visite va bientôt commencer. L’enthousiasme des familles se fait sentir. Les parents observent, et les enfants veulent partir à l’aventure. Certains font la rencontre de la jument de traie et des chats de la ferme. Vincent Liégey, co-fondateur de Cargonomia, sourit : un petit succès prend forme sous ses yeux, celui de la pédagogie douce. La décroissance, le changement de système, l’anticapitalisme…, autant de sujets, dont il sait qu’il ne parlera pas directement aujourd’hui. L’important est ailleurs, il faut recréer des liens, avec la terre et l’agriculture, au cœur des enjeux de transition. Alors Vincent range ses concepts et ses livres pour se faire animateur. Le spectacle commence pour les enfants, on interroge sur les outils et les légumes qui poussent ici. Les réponses fusent : « Un râteau ! – et ça sert à quoi ? – A râter ! », « Et ça c’est quoi ? Basilic/bazsalikom ! ». « Et ça, vous connaissez ? C’est une grelinette, ça sert à aérer la terre. ». « C’est sûrement moins efficace qu’un cochon ! », commente Marcel dans l’assistance. Les enfants et leurs parents découvrent, commentent, expérimentent ensemble.
Le pouvoir du « faire » et du « voir » est au centre de la logique de Cargonomia. Ce projet rassemble trois acteurs impliqués dans l’économie sociale et solidaire qui participent à la transition vers plus de soutenabilité. En partenariat avec la ferme Zsámboki Biokert, dont il est question ici, on trouve également Cyclonomia, un atelier vélo participatif qui fabrique de manière artisanale ses propres solutions low-tech pour le transport de marchandises en milieu urbain, ainsi que Kantaa, une entreprise de coursiers à vélo. Cargonomia est avant tout un vecteur de rencontres, et fait le lien entre diverses activités et objectifs : productions locales et soutenable de nourriture, vente directe, relations conviviales et transparentes entre consommateurs et producteurs, mais aussi production de vélocargos pour une mobilité douce mais active, sans énergie fossile, conçues et fabriquées localement… Cargonomia est une interface conviviale qui accueille et co-organise des rencontres et des ateliers autour du Do it Yourself, de la transition et de la Décroissance ainsi que des événements culturels et festifs comme cette journée familiale à la ferme de Zsámbok.
Le temps des questions réponses a cédé la place à la visite de la ferme, guidées par Vincent. Après avoir vu les rangs de différents légumes, les serres, le verger et même le compost, c’est maintenant le temps de la mise en pratique : les enfants envahissent le champ d’Hokkaido, aussi appelés Potimarron. Les consignes sont données en Anglais par Matthew, et traduites par un des parents. La récolte peut commencer, sous la surveillance des parents et d’autres volontaires de Cargonomia. Les boules orange dans les mains, les enfants se sentent investis d’une mission. Ils sont sérieux dans leur travail et délicats avec les légumes qui seront la semaine prochaine proposés dans les paniers à destination des familles Budapestoises.
La convivialité et le bonheur des enfants comme vecteur du changement d’imaginaire, de paradigme
Cette récolte est comme un jeu, « J’ai trouvé le plus gros, regarde ! ». Mais ils questionnent également leurs parents ou les intervenants sur le sens de leur action : « Et ça, ça se mange ? Pourquoi on doit tout ramasser ? ». Se faisant ce sont les parents qui se questionnent à leur tour, et nous interrogent : « Quand est-ce que vous venez aider à la ferme ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler avec Cargonomia ? », « Donc cette fleur-là, elle aurait pu donner une courge ? Où il n’y a plus assez de soleil ? », « Et vous les stockez, donc ? ». Les regards varient, mais la magie du partenariat des petits mousquetaires et de Cargonomia opère. Chacun se pose des questions, découvre, le débat est ouvert. La curiosité amène l’écoute. Alors quand le pique-nique tant attendu par les enfants arrive enfin, certains parents nous demandent : « Comment peut-on se procurer des paniers de légumes ? ». Ils ont envie d’aller plus loin, cette journée à la ferme permet un premier passage à l’action qu’il faudra confirmer avec d’autres apports pédagogiques. La graine est semée. L’individu devient acteur. La visite de la ferme a permis de donner corps à une autre réalité, pour un autre imaginaire.
Les familles sont rassasiées sur tous les plans, mais reste encore le clou de la journée : les cagettes d’Hokkaido, trop lourdes pour être portées en brouette, seront ramenées par Sari, la jument, attelée à une carriole. Matthew propose aux parents d’offrir une ballade sur son exploitation aux enfants. Les voilà partis, grands sourires et mains tendues pour dire au revoir. L’équipage s’éloigne sur le chemin de terre, et s’émerveille de la vitesse, naviguant entre les aromates et les plans de patates douces. Le bruit s’estompe peu à peu. Un parent ravi, s’écrie : « Vous pouvez les garder ! Merci ! ». Une heure plus tard, les enfants repartent souvenirs en poche, la sieste du retour peut commencer, la jument et les Hokkaido sont dans toutes les têtes. La ferme se calme, le soleil redescend.
* Clément Choisne était en voyage d’étude, et Loéna Trouvé est volontaire à Cargonomia, centre de recherche et d’expérimentation sur la Décroissance, coopérative agricole bio et centre logistique de vélocargos.