L’architecte Matúš Vallo est l’un des 10 candidats à la mairie de Bratislava pour les élections du 10 novembre prochain. Il porte un projet pour la capitale slovaque longuement travaillé par une forte équipe d’experts. Il est soutenu par le mouvement «Pour une Slovaquie décente» et progresse nettement dans les sondages. Portrait.
Nul ne pourra reprocher à Matúš Vallo de ne pas s’être préparé à devenir maire de Bratislava, encore moins d’avoir pris en marche le train de l’indignation et de la soif de renouveau qui ont saisi une partie de la société slovaque après l’assassinat en février du journaliste Ján Kuciak.
Matúš Vallo est aujourd’hui le candidat du mouvement « Pour une Slovaquie intègre » (Za slušné Slovensko) né des secousses politiques du printemps dernier et vient de reprendre les manifestations de rue en ce début d’automne, mais il n’avait pas attendu ce parrainage pour se lancer dans la compétition. Cet architecte qui vient de fêter ses 41 ans le 18 septembre s’y préparait en fait de longue date, deux ans au moins si l’on ne considère le temps nécessaire à l’équipe d’experts qu’il anime et fédère pour élaborer leur plan B.
B comme Bratislava bien sûr mais aussi plan B pour s’affirmer comme une alternative au développement anarchique de la ville depuis 30 ans. « Les promoteurs décident, répète inlassablement Matúš Vallo. Ils imposent leurs vues, leurs choix, leurs intérêts, à des élus qui n’ont d’autre projet que leur réélection ». Peut-on aller jusqu’à parler de J&T City, ou de Penta City, du nom des deux principaux groupes d’investissements qui redessinent la skyline de Bratislava depuis plus de deux décennies ? « Je n’irai pas jusque là, nuance le candidat, mais l’administration de la ville n’est pas assez structurée et puissante pour faire respecter ses règles et à fortiori imposer ses vues aux promoteurs. Elle n’en a ni l’énergie ni la volonté. Et le résultat est là sous vos yeux. Pas fantastique ! »
Impérieuse nécessité pour ses auteurs, ce plan B se présente donc comme un bon pavé de 300 pages solidement charpenté en douze chapitres qui, passant en revue l’ensemble des missions et fonctions d’une cité capitale, propose – et c’est très nouveau en Slovaquie – une véritable vision d’avenir pour Bratislava, laquelle tient compte en particulier des exigences nouvelles et impératives du développement durable. Ils sont 76 professionnels aguerris, architectes, urbanistes, économistes, juristes, spécialistes des transports, du traitement des déchets, ou encore de l’éducation et des services sociaux, à avoir apporté leur pierre à ce projet intégralement disponible également en ligne.
C’est une autre particularité de l’entreprise qui la distingue d’un programme politique ordinaire. « Ce plan B que nous avons élaboré ensemble appartient désormais à tout le monde, précise Matúš Vallo. Il est sur la table. Qui veut s’en servir peut le faire. Bien sûr, nous entrons dans cette compétition municipale avec l’espoir de le conduire nous-même et de le mener à bien si nous sommes élus, mais nous serons également satisfaits si d’autres que nous s’en emparent pour le plus grand bien de la ville ».
La « team Vallo »
C’est encore un signe distinctif de la candidature de Matúš Vallo que ce « nous » qu’il emploie sans cesse, et qu’on retrouve sur ses affiches et documents de campagne dans la signature « Matúš Vallo and team ». Il s’agit bien d’un projet collectif porté par une équipe qui va tenter de gagner sur les deux fronts de ce scrutin municipal particulier. Car à la différence de la règle qui prévaut ailleurs, à Paris ou à Prague exemple, où le maire est élu par la majorité des conseillers municipaux, ici à Bratislava, deux élections parallèles désignent d’une part le premier magistrat de la ville, et d’autre part le parlement ou conseil avec lequel il devra cohabiter et travailler et qui peut très bien ne partager ni ses convictions ni son projet.
« L’avantage de ce système, reconnaît Matúš Vallo, c’est que la mairie est plus facilement accessible à un candidat indépendant. Il suffit d’un millier de signatures pour se lancer. L’inconvénient, majeur, c’est que le maire élu est pratiquement impuissant s’il ne dispose pas d’une majorité de conseillers pour le soutenir. Et c’est le cas depuis deux mandatures à Bratislava. C’est pourquoi nous présentons 45 candidats au conseil municipal, et d’autres candidats au conseils de districts qui tous se reconnaissent dans notre plan B et soutiendront sa mise en œuvre si l’élection en décide ainsi. »
« Jamais Bratislava n’a eu de maire à la hauteur de cette ville »
Ces maires qui président aux destinées de la ville depuis 1989 et la fin du régime communiste, et dont le dernier en date, Ivo Nesrovnal espère un nouveau mandat, Matúš Vallo ne les porte pas dans son cœur. « La plupart des grandes villes dans le monde doivent leur essor et leur prospérité à l’action déterminante d’un maire bâtisseur, visionnaire et influent, capable de prendre s’il le faut des mesures impopulaires pour le bien de leur ville, quitte à perdre les élections suivantes. Malheureusement jusque là, jamais Bratislava n’a eu de maire à la hauteur de cette ville, mais toujours des politiciens essentiellement préoccupés de leur propre avenir et pour qui la mairie de Bratislava n’était qu’une étape de carrière. » Et de conclure, lapidaire : « Ils n’ont rien fait que chercher des voix ! »
Bratislava mérite mieux et Matúš Vallo qui aime profondément sa ville est là-dessus intarissable. « Bratislava est installée sur un site extraordinaire : le Danube, les Carpates. Vienne, notre cité satellite, ajoute Matúš Vallo avec humour, est à quarante minutes d’ici. Prague, à 3 heures. Tout est à portée de main. Or Bratislava reste à inventer. Son identité est encore fluctuante. L’ancienne Presbourg n’est devenue Bratislava qu’après la première guerre mondiale. Il y a eu ici, à ce moment là, des manifestations pour ne pas être intégré à la nouvelle Tchécoslovaquie, et rester autrichien ou hongrois. Après sont venus les communistes, puis les promoteurs. Mais il n’est pas trop tard. Nous avons aujourd’hui une occasion unique de penser cette ville et de la construire selon nos rêves. Qui plus est à un moment où la contrainte environnementale impose de nouveaux modèles de développement: la fin du tout automobile, la restitution de la ville aux piétons, aux cyclistes, la priorité aux transports collectifs, les impératifs de qualité de l’air et de l’eau, de traitement des déchets et de recyclage, etc. C’est une opportunité et un challenge formidable ! »
Matúš Vallo a bien conscience que le vent nouveau qui souffle sur la scène politique slovaque depuis quelques mois, « un grand espoir pour nous », contribue à l’élan de sa campagne. « Nous sommes soutenus par d’autres forces et partis politiques d’opposition (Slovaquie progressiste, Ensemble – démocratie citoyenne), mais c’est vrai que le rapprochement avec le mouvement pour une Slovaquie intègre s’est fait naturellement. Avec mon groupe musical Para – Matúš Vallo est aussi bassiste à ses heures –, nous étions présents dans les manifestations du printemps et nous avons joué. Et puis il s’avère que nos locaux sont installés dans le même immeuble à Palisady. Le dialogue est donc constant, d’autant que quelques membres de mon équipe ont rejoint le mouvement. Pour le mouvement « Slovaquie intègre », qui soutient aussi des candidats à Nitra et Žilina, les élections du 10 novembre sont l’occasion d’une première traduction dans les urnes du mouvement d’indignation dont il est issu. Et notre plan B implique des changements majeurs dans la gestion de la ville qui coïncident avec ses exigences éthiques et doivent permettre de lutter efficacement contre la corruption : publicité des appels d’offre, chasse aux conflits d’intérêt, procédures transparentes de sélection et de nomination des fonctionnaires, protection des lanceurs d’alerte, etc. Bref je reste un candidat indépendant mais on tire dans le même sens ! »
« Dans les cités, on organise aussi des fêtes de voisins, des pique-niques »
Matúš Vallo, très présent sur les réseaux sociaux, moins sur les plateaux d’une télévision publique «inéquitable» regrette-t-il, était pointé en forte progression au 3ème rang dans les sondages de ce début d’octobre, à seulement deux points du maire sortant, et à 5 points de Václav Mika, un ancien patron de la télévision publique. Il souffre encore d’un déficit de notoriété qu’il cherche à combler par une intense campagne de terrain. Il s’insurge si l’on suggère qu’il ne serait soutenu que par une élite éduquée et connectée, par ceux qu’on nommerait en France les Bobos, la contraction de Bourgeois-Bohême. « Nous marchons beaucoup dans Bratislava. On fait du porte à porte, de maison en maison, d’immeuble en immeuble. Nous allons à la rencontre des gens. Je n’arrive pas en disant : « Voilà c’est moi, je suis là, je suis candidat ». Non, je leur dit: « J’ai des questions à vous poser, je veux savoir ce que vous pensez ». Et c’est très intéressant. Les gens adorent ça. Ils sont heureux qu’on vienne les voir, ils sont très accueillants. Dans les cités, on organise aussi des fêtes de voisins, des pique-niques. On installe tout. On met de la musique. Et les gens descendent de leurs appartements. Ils se rencontrent, se découvrent et ça donne des échanges du genre: « Ça fait quinze ans que je vous aperçois depuis ma fenêtre, et on ne s’était jamais parlé ». Nous, on ne sait pas à priori qui habite là, s’ils sont riches ou pauvres, intellectuels ou manuels. On voit tout le monde. On parle avec tout le monde. Et c’est très intéressant. Nous ne portons pas de lunettes roses. Nous ne vivons pas dans une bulle et les gens commencent à le savoir !»
Matúš Vallo n’est pas subitement sorti de son cabinet d’architecte pour se jeter dans l’arène politique. L’atavisme familial est fort. Activiste de longue date, fils de diplomate, petit fils de ministre, il n’est pas un novice et le reconnaît volontiers : « La politique n’est pas un monde étranger pour moi. Je m’inscris dans une tradition familiale. Je la modernise ». Et si vous lui demandez ce qu’il fera de cette vocation nouvelle en cas d’échec. Il répond en deux temps. « J’ai moi aussi un plan B. Je m’occuperai de mon épouse qui fait beaucoup de sacrifices en ce moment. Je retournerai au bureau, à l’architecture. Je me remettrai sérieusement à la musique » (Matúš Vallo est fan de Nicolas Baby, alias Niktus, le bassiste du groupe funk français FFF)… Puis il se ressaisit: « Mais ça n’arrivera pas ! » et s’empresse d’aller rejoindre l’équipe de militants bénévoles qui s’active dans son QG de campagne. Matúš Vallo a la foi !