Après Sviat, héros de la restauration solidaire à Kiev, faites connaissance avec Marta qui œuvre auprès des communautés locales en soutenant leurs projets culturels notamment en faveur des anciennes générations.
Ce portrait-interview est issu de We Can Be Heroes, le projet de Thomas Tichadou, qui a sillonné l’Europe sur 15 500 km de Kiev à l’Est jusqu’à Tunis au Sud, à la rencontre de quatorze acteurs de la transition, de juillet à novembre 2017. |
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Marta Bialek-Graczyk, je suis sociologue, journaliste et directrice de Ę, l’association des Initiatives créatives.
Quel est ton concept ?
Nous accompagnons les communautés locales dans la conception de projets liés à la culture, aux questions intergénérationnelles, à l’éducation civique ou encore à l’art dans l’espace public.
Quel est le problème que tu veux résoudre ?
La dépendance liée au vieillissement de la population inquiète la société polonaise. C’est pourquoi nous avons créé Seniors in action, un incubateur dédié aux initiatives s’attaquant aux problèmes dû à l’âge. Nous investissons dans ces projets, nos experts accompagnent les entrepreneurs et nous organisons des ateliers de discussion ou de réseautage. Ce programme est gratuit et nous aidons actuellement 37 structures. Je peux te parler d’un projet auquel je crois : les habitants d’une petite ville de Pologne se déplacent uniquement en vélo. Des citoyens s’en sont inspirés pour inventer avec les habitants un service de taxi et de livraison à domicile. Ils ont convaincu les jeunes d’aller livrer aux personnes âgées ce dont elles ont besoin, mais aussi de les conduire quelque part. Et tout cela à vélo ! Ils ont même conçu un module spécial pour rendre le trajet plus confortable.
En quoi ta méthode est-elle innovante ?
Une idée innovante est pour moi une idée à la fois astucieuse et peu coûteuse. Des choses que nous connaissons tous, mais envisagées sous un autre angle. Tout le monde sait faire du vélo et tout le monde sait que les personnes âgées sont fragiles, mais personne n’a encore pensé à combiner ces deux sujets : et ça c’est innovant !
« Une idée innovante est pour moi une idée à la fois astucieuse et peu coûteuse. Des choses que nous connaissons tous, mais envisagées sous un autre angle. »
Comment cette idée t’est-elle venue à l’esprit ? Pourquoi avoir créé cette ONG ?
« »Ę » est une lettre polonaise, c’est assez unique. Nous n’avions pas beaucoup d’argent, nous avons donc utilisé cette lettre pour créer notre propre logo. Nous avons voyagé en Pologne pendant 2 ans. »
Quand j’étais plus jeune, je voulais me sentir utile à la société. J’ai alors pris ma voiture et je suis partie avec des amis à la rencontre des communautés locales. Nous leur proposions des formations pour maximiser leur impact social. Après être restés suffisamment longtemps sur place, nous nous rendions à un autre endroit. Nous avons créé l’ONG à ce moment. « Ę » est une lettre polonaise, c’est assez unique. Nous n’avions pas beaucoup d’argent, nous avons donc utilisé cette lettre pour créer notre propre logo. Nous avons voyagé en Pologne pendant 2 ans.
Quel a été l’élément déclencheur qui t’a amenée à t’engager ?
J’ai étudié la sociologie, donc les questions sociales et sociétales me passionnent. Mais je ne voulais pas me cantonner à la théorie seule, j’avais besoin de concret. J’étais très impliquée dans mon école, c’est assez naturel chez moi d’agir pour le bien d’autrui. Au début, nous ne pensions pas que nous pourrions un jour vivre de notre ONG. Nous avons juste pris la route pour nous rendre utile aux autres !
« Je ne voulais pas me cantonner à la théorie seule, j’avais besoin de concret. Nous avons juste pris la route pour nous rendre utile aux autres ! »
Était-il facile de mobiliser la population et des partenaires au démarrage du projet ?
Oui car notre méthode ne ressemblait à aucune autre ! La Pologne a beaucoup changé ces 15 dernières années. Notre arrivée dans une nouvelle communauté était l’attraction du village ! Mais les citoyens s’intéressaient de près à ce que nous proposions pour les aider.
Quels sont les défis auxquels vous avez été confronté ? Comment avez-vous réagi ?
Nous avons compris que notre nomadisme ne permettait pas un accompagnement optimal des acteurs locaux. Nous ne voulions plus voyager autant et nous ne pouvions pas être partout. Au même moment, nous ressentions une poussée de l’engagement en Pologne. Nous avons alors totalement repensé notre manière d’agir : l’équipe ne se déplace plus, nous nous sommes installés ici, à Varsovie, et nous avons embauché des mentors. Ils sont sociologues, psychologues, designers, réalisateurs de film, photographes, etc. Nous les appelons les « animateurs culturels volants » parce qu’ils vont sur le terrain et assurent le suivi à long terme. Ils évaluent l’accompagnement nécessaire et conçoivent un programme spécifique aux problématiques des porteurs de projet.
Le deuxième défi était le changement d’échelle de notre structure. Nous avons reçu une subvention européenne assez conséquente, nous devions donc rendre des comptes et nous structurer davantage. Voilà le dilemme : « souhaitons-nous agrandir notre organisation ou privilégier notre flexibilité en restant petit ? ». L’ONG s’est alors un peu agrandie et nous avons aujourd’hui des projets à long-terme. Nous avons gagné en stabilité et en visibilité car nous pouvons maintenant définir nos objectifs pour les 6 prochains mois.
Quel est votre modèle économique ?
Nous facturons des formations, des ateliers ou d’autres services en lien avec l’innovation à des entreprises ou au secteur public. Le programme d’incubation est quant à lui gratuit.
Nos partenaires sont à la fois locaux, nationaux et internationaux. La Polish-American Freedom Foundation est notre plus grande contributrice. Nous sommes aussi aidés par les Ministères du Développement et de la Culture ainsi que par la ville de Varsovie. Nous coopérons avec la European Cultural Foundation basée à Amsterdam.
La spécificité de notre modèle économique est que nous réinvestissons l’ensemble de nos bénéfices dans l’ONG pour développer de nouveaux projets. C’est assez nouveau en Pologne, nous ne sommes que 2 à travailler comme cela à Varsovie par exemple.
Quels sont les grands challenges à surmonter dans le futur ?
La question du changement d’échelle est toujours présente et nous ne devons pas la sous-estimer. Mais le plus grave aujourd’hui est la crise politique et sociale que connaît la Pologne. Les subventions publiques fondent à vue d’œil et le contrôle politique sur les institutions publiques est de plus en plus préoccupant. Et nous en sommes qu’au commencement…
Où trouves-tu ta motivation ?
Chez les autres. Rencontrer de nouvelles personnes et trouver avec eux de nouvelles idées. C’est aussi très motivant de prendre conscience de l’impact bénéfique qu’a pu avoir mon travail !
Si tu devais définir ton engagement en un mot, adjectif ou sentiment…
Je dirais « l’authenticité ». Tu ne peux pas tricher quand tu aides des projets traitant de sujets si différents les uns des autres. Les recettes toutes faites, cela ne marche pas. Chaque accompagnement doit être personnalisé, sans aucune arnaque. C’est très difficile à réaliser, mais c’est la raison pour laquelle ce travail passionnant !