Le scrutin présidentiel moldave du 1er novembre permettra d’évaluer les rapports de force entre des partis diamétralement opposés, plus ou moins affranchis des manipulations de l’oligarque Vlad Plahotniuc.
La Moldavie serait “à la croisée des chemins” à en croire l’ancienne première ministre Maia Sandu. Le premier tour de l’élection présidentielle, le 1er novembre, serait “inévitablement géopolitique” selon l’expression du politologue Dionis Cenusa. Mais finalement, rien de nouveau : en-a-t-il jamais été autrement depuis l’indépendance de cette ancienne république soviétique, encastrée entre l’est et l’ouest? Reste que ce scrutin est bel et bien inédit, en premier lieu parce qu’il fait suite à une année 2019 émaillée d’évènements politiques majeurs.
Après des élections entachées de fraudes en février 2019, une série de protestations populaires à l’été qui ont poussé à l’exil le “kidnappeur de l’État”, l’oligarque Vlad Plahotniuc, et la chute du gouvernement libéral de Maia Sandu en novembre, le 1er novembre est le premier rendez-vous électoral qui permettra d’évaluer les rapports de force entre des partis diamétralement opposés, plus ou moins affranchis des manigances de Vlad Plahotniuc. Le président sortant, Igor Dodon, est crédité d’environ 17% des intentions de vote au premier tour, talonné par Maia Sandu, avec 13%.
Sur le papier, leurs promesses se ressemblent : intensifier les réformes et la lutte anti-corruption, moderniser l’économie et attirer des investissements étrangers. Des engagements vitaux pour la Moldavie, un des pays le plus pauvre d’Europe en termes de PIB par habitant. La moitié des retraités y perçoivent des pensions sous le seuil de pauvreté. Sur les 3,5 millions de Moldaves, plus d’un tiers vit et travaille à l’étranger.
Les projets des deux principaux candidats sont cependant fondamentalement différents. Maia Sandu met en avant son passif de technocrate occidentalisée, ancienne employée de la Banque mondiale, pour promouvoir des réformes radicales et une “tolérance 0” vis-à-vis de la corruption. On pourrait, à propos de Maia Sandu, paraphraser un bon mot visant autrefois Robespierre : elle serait prête à demander à quelqu’un de lui donner de l’argent afin qu’elle ait l’occasion de le refuser. En tant que présidente, elle exigera une “refonte complète du système judiciaire”, réputé politisé et corrompu jusqu’à la moelle.
On pourrait, à propos de Maia Sandu, paraphraser un bon mot visant Robespierre : elle serait prête à demander à quelqu’un de lui donner de l’argent afin qu’elle ait l’occasion de le refuser.
Igor Dodon, lui, joue plus sur des accents de paternalisme et de clientélisme, tout en appuyant sur des thèmes de société tels que la religion ou la place centrale de la famille. Selon l’analyste Igor Volnitchi, le chef de l’Etat sollicite trois catégories d’électeurs: “les opportunistes” qui attendent des bienfaits concrets de la part d’un candidat, “les nationalistes” qui rejettent l’héritage roumain de la Moldavie, et “les géopolitiques”, sensibles à un rapprochement avec Moscou. Le nord du pays, de même que la république autonome de Gagouzie, au sud, semblent lui être acquis.
Même si les deux candidats se gardent bien de mener des “campagnes géopolitiques” et assurent œuvrer avant tout pour le bien-être des Moldaves, leurs projets présentent des critères géopolitiques évidents. Jadis, Maia Sandu ne cachait pas sa préférence à un rattachement à la Roumanie. Elle se contente désormais de prôner une adhésion de la Moldavie à l’Union européenne. Igor Dodon met lui en scène sa relation personnelle avec Vladimir Poutine. Il a visité la Russie 21 fois depuis son arrivée au pouvoir en 2016 et pousse pour une intégration dans l’union eurasiatique. À chacun de ses retours de Moscou, il annonce de nouveaux partenariats, contrats et évènements qui devraient consacrer un soutien de l’ancienne capitale impériale à la Moldavie. Un discours qui porte dans son électorat même si, ces derniers mois, le Kremlin n’a guère répondu à ses demandes et propositions.
La sphère médiatique est ainsi révélatrice de cette dimension géopolitique, après avoir subi une sorte d’OPA par des proches du président Dodon, selon Cornelia Cozonac, du centre de journalisme d’investigation. 60% des télévisions et 80% des agences de publicité dépendent désormais de partenaires du parti des socialistes et diffusent des messages ouvertement pro-russes, avertit Angela Gramada, directrice de l’Association des Experts pour la sécurité et les Affaires Globales. “Le contenu proposé par les médias en langue russe, notamment, nous maintiennent captifs d’une certaine manière de penser”, explique-t-elle. Elle note aussi que chaque média affilié à des groupes pro-russes s’est choisi des adversaires géopolitiques très marquées, comme la Roumanie, l’UE ou les États-Unis.
À chacun de ses retours de Moscou, Igor Dodon annonce de nouveaux partenariats, contrats et évènements qui devraient consacrer un soutien de l’ancienne capitale impériale à la Moldavie.
Force est aussi de constater que l’électorat tient compte de facteurs extérieurs tels que la position russe dans la crise bélarusse ou encore les errements de l’UE dans sa politique moldave au cours des 15 dernières années. L’évolution de la guerre au Haut-Karabakh est aussi suivie de près en Moldavie, victime d’un conflit gelé avec la Transnistrie depuis 1992. Cette insertion de la Moldavie dans le “grand jeu” est-européen est aussi pertinente à Kiev. Oleksiy Danilov, secrétaire du conseil national de sécurité et de défense d’Ukraine, a ainsi averti d’un éventuel déploiement de troupes russes au Bélarus en représailles d’un résultat défavorable au Kremlin lors de l’élection présidentielle moldave. Rien ne vient étayer ce scénario. Mais il montre que la dimension géopolitique du scrutin en Moldavie n’est pas à négliger.
D’autant que le vote se jouera en partie à l’étranger, compte tenu du poids des diasporas et migrants moldaves. 17 bureaux de vote seront ouverts en Russie, ce dimanche, pour accueillir 6.202 électeurs. Cela représente 11 fois le nombre de votants aux élections de 2019. Les soupçons de manipulation des listes électorales au profit d’Igor Dodon vont donc bon train, entre autres tentatives de fraudes. La Transnistrie sera aussi scrutée de près : en 2019, 37.000 électeurs en avaient été acheminés par autocar vers des bureaux de vote en territoire moldave. Ils y avaient soutenu des candidats socialistes d’Igor Dodon et du parti démocrate de Vlad Plahotniuc. Maia Sandu n’ayant actuellement la main sur aucun outil d’État, le potentiel de fraudes venant de son camp est moindre.
Dans cette configuration, les jeux d’alliance dans l’entre-deux tours seront cruciaux. Igor Dodon pourrait compter sur un soutien du populiste maire de Balti, Renato Usatii, vraisemblablement le troisième homme de l’élection, crédité de 10% d’intentions de vote. Maia Sandu sera en revanche handicapée par l’inimité apparente qu’elle entretient avec Andrei Nastase, l’autre grand champion du camp libéral et réformateur. Le morcellement de l’opposition à Igor Dodon pourrait contrarier les reports de voix en sa faveur.