Parti pris – La Hongrie n’est plus une démocratie depuis qu’un homme, Viktor Orbán, qui les avait déjà de facto depuis 2010, s’est arrogé les pleins pouvoirs et les conservera jusqu’à nouvel ordre (ordre qui ne pourra venir que de lui). Cela avec la complicité du parlement, ce qui, pour une démocratie fondée sur un système parlementaire, n’est pas rien. L’affaire est connue, la presse internationale l’a abondamment rapportée. De grands journaux à diffusion internationale ont même imprimé le mot « dictature ». Ça aussi, pour un pays de l’Union européenne, ce n’est pas rien.
En ces temps de coronavirus, la France elle non plus, n’est plus une démocratie. Mais cette fois ce n’est pas la presse internationale qui le dit. Les grands médias de référence – que l’on imagine suffisamment accaparés par l’épidémie et éventuellement les dérives de leur propre gouvernement – ne sont pas allés voir plus loin que ce qu’il se passe dans les « démocraties illibérales »…et y ont trouvé sans mal ce qu’ils cherchaient. Ce n’est donc pas ces grands médias du mainstream qui le disent, mais Jean Quatremer, journaliste à Libération, et même LE journaliste des questions européennes – qui soit dit en passant n’est pas un grand ami des « pays de l’est » et encore moins de la Hongrie, qu’il a parfois égratignée.
« Tant que l’État d’urgence sanitaire s’appliquera (jusqu’à la fin du mois de juillet vient-on d’apprendre), la France n’est plus une démocratie, même si elle n’est pas tout à fait une dictature », écrit Jean Quatremer. « Le chef de l’État, s’appuyant sur une majorité soumise et face à une opposition inexistante, s’est emparé de tous les leviers de pouvoir en invoquant la nécessité de préserver la santé des Français ». Voilà qui ressemble étrangement à l’histoire hongroise…Mais laissons de côté la comparaison, un exercice dont il sort rarement du bon et qui n’est pas la vocation du Courrier d’Europe centrale.
Si les médias pro-Orbán venaient à tomber sur pareil trésor (ce qui n’est pas impossible du tout), d’autant plus précieux qu’il aurait été trouvé dans un média « libéral », ils boiraient du petit lait. C’est une stratégie rodée du Fidesz que d’aller chercher ce qu’il se fait de comparable ailleurs pour justifier ses actions. Et que cela plaise ou non, la France lui sert souvent de (mauvais) exemple en matière de respect de l’état de droit et d’autoritarisme, depuis ses multiples états d’urgence décrétés dans la lutte contre le terrorisme en 2015.
Avec la loi « d’habilitation » hongroise pour lutter contre le coronavirus, « j’ai des pouvoirs comparables à ceux du président français en temps normal », a récemment déclaré Viktor Orbán. On imagine sans mal qu’il se sentirait plus à l’aise en dirigeant d’un régime présidentiel ou semi-présidentiel. D’ailleurs, ceux qui suivent de près la vie politique hongroise se souviennent peut-être qu’il avait – un temps – vaguement envisagé de faire évoluer la démocratie parlementaire hongroise en ce sens.
La droite hongroise, depuis Viktor Orbán jusqu’au dernier blogueur de la « fachosphère », dans sa victimisation permanente, le ressasse : la Hongrie est victime d’un deux-poids-deux-mesures, de la part des institutions européennes et internationales et des médias. C’est une constante du nationalisme hongrois et les commémorations du centenaire du traité de Trianon (« la plus grande tragédie de l’histoire hongroise », comme le désigne le Fidesz) qui approchent, le 4 juin, ne vont pas la détendre.
Y-a-t-il un deux-poids-deux-mesures entre un Orbán cloué au pilori par une presse qui n’a pas pipé mot de la dérive de Macron ? On peut le penser. Mais pas, comme le prétend le Fidesz, parce qu’il existerait un complot libéral pour faire rentrer dans le rang les irréductibles hongrois, briser leur « révolution conservatrice » et brimer leur sentiment national. Il existe des raisons multiples à cela, mais la plus évidente d’entre elles est que Viktor Orbán est un « bon client » pour les médias. Il le sait, et il en joue, car c’est dans son intérêt.
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