Par Aurélia Peyrical, ENS Paris, Lectrice au Collegium Eötvös Joszef
Les 8 et 9 mars prochains, l’Institut Français de Budapest accueille la « Fondation Franco-Hongroise pour la Jeunesse », ou « Magyar Francia Ifjúsági Alapítvány » dans sa langue maternelle, pour la célébration de ses 20 années d’existence.
Fondée en 1992 sous l’impulsion du ministère hongrois de l’Education et de la Culture (son appellation d’alors), la Fondation s’est donnée pour objectif de tisser des liens pérennes entre la France et la Hongrie par l’intermédiaire de jeunes professeurs français natifs dont la mission est l’enseignement du français langue étrangère (FLE) et de quelques autres disciplines (littérature, histoire…) à tous les niveaux du cursus honorum hongrois.
Outre de nombreuses activités et présentations, l’Institut Français accueille une exposition retraçant l’histoire de la Fondation de 1992 à 2012. On y apprend par exemple combien la Hongrie au sortir de l’ère socialiste était demandeuse de professeurs de langues étrangères, ou encore comment les projets pédagogiques frais initiés en Hongrie par certains enseignants ont pris racine hors-frontière. C’est toute cette histoire que retrace avec simplicité et élégance l’exposition à partir de documents d’archives – coupures de presses, photographies, documents officiels qui ont fait parler de la France en Hongrie.
Interview avec la directrice de la Fondation Franco-Hongroise pour la Jeunesse, Mariann Körmendy
Pour en savoir un peu plus nous avons rencontré Mariann Körmendy, actuelle directrice de la fondation, pour évoquer avec nous passé et avenir.
A.P : Comment êtes-vous devenue directrice de la Fondation ?
M.K : C’est une longue histoire. Depuis 2006 j’étais membre du conseil d’administration comme représentante de l’enseignement supérieur et de l’Association Hongroise des Enseignants de Français. J’ai été contactée par Magda Szabo), l’ancienne directrice, pour me proposer le poste. C’était en mai 2009. Il fallait quelqu’un qui connaisse à la fois le terrain et le fonctionnement de la Fondation.
A.P : Qu’est-ce que vous appelez, dans votre domaine, « connaître le terrain » ?
M.K : Connaître tous les aspects de l’enseignement : les différents types d’écoles, les professeurs, avoir été soi-même enseignant. Mon parcours est atypique, car j’ai commencé à enseigner il y a plus de 30 ans dans des écoles secondaires, dans différents lycées. Depuis 1992 je travaille dans l’enseignement supérieur. Ordinairement les enseignants du supérieur passent toute leur carrière à l’Université. De mon côté, j’avais aussi beaucoup travaillé à la formation des professeurs. Mon atout, c’était d’avoir pu acquérir une vision d’ensemble, et d’avoir d’excellents contacts auprès des enseignants hongrois.
A.P : Pourriez-vous nous raconter quelques souvenirs de votre première promotion de JDs (Lecteurs de français) ?
M.K : C’était une expérience très difficile car j’arrivais en fin d’année scolaire. Ma première rencontre officielle avec les JDs s’est faite lors de la réunion de bilan et de la remise de la médaille Sauvageot à l’Ambassade de France. Le service culturel, en la personne d’Annie Auroux, m’a beaucoup aidé. Au même moment il a fallu terminer le recrutement pour l’année suivante. Je n’avais aucune expérience dans le recrutement ! J’étais un peu noyée dans toutes les candidatures… Mais cette première promotion de transition a été très bonne malgré tout. La promotion suivante a été excellente, c’était l’année de Marion [Decome, chargée de mission au Service de Coopération Linguistique et Éducative, ndlr] : très soudés, ils ont initiés certains projets que l’on voit dans l’exposition.
A.P : Comment la Fondation soutient-t-elle les projets des JDs ?
M. K : Dans l’exposition, on voit le projet de rallier en Kayak Budapest et Istanbul. Les deux anciens JDs ont obtenu un financement partiel de la Fondation. Dans le cas du recueil « La Hongrie vous guide », l’aide s’est matérialisée par le site internet qui héberge le guide, une aide à la publication d’exemplaires papier, et la diffusion auprès de nos contacts.
Pour ce qui est des échanges scolaires, ceux qui fonctionnent réellement ce sont les projets en rapport avec l’enseignement, pas tellement le tourisme. Rien ne peut fonctionner sans une impulsion de la part des écoles, autour de projets thématiques et qui visent une certaine pérennité.
A.P : Qu’est-ce qui a fait selon vous la pérennité de la fondation ?
M.K : Avant tout son équilibre financier du à son cofinancement, entre le Ministère des Ressources Humaines hongrois et le Ministère des Affaires Étrangères français, cofinancement qui a toujours existé, et qui, si on en fait le bilan, s’est bien équilibré sur 20 ans. Autre facteur, le grand besoin, dans les années 1990, de professeurs de langues étrangères autres que le russe. Nous avons fait venir jusqu’à 109 jeunes professeurs et professeurs retraités. Aujourd’hui les effectifs ont baissés, du fait de la démographie, de l’essor des autres langues et de la prépondérance de l’anglais, mais nous réussissons à maintenir au moins une vingtaine de professeurs, et exactement 48 établissements sont impliqués. C’est déjà considérable.
A.P La Fondation a-t-elle une orientation politique évidente ?
M.K : Dans ses statuts de 1992, il est bien spécifié que la Fondation ne doit exercer aucune activité politique. Cette neutralité, nous y tenons beaucoup, et c’est aussi un facteur de notre pérennité. Nous n’avons jamais soutenu ni dérangé des gouvernements. En tant que programme purement professionnel, on peut obtenir le soutien de tous les gouvernements qui se succèdent.
Lorsque nos professeurs s’engagent, ce n’est pas pour être les porte-paroles de n’importe quel bord politique ou pour faire de la propagande, c’est plutôt pour soutenir des causes comme la promotion des Droits de l’Homme ou la lutte contre le racisme. Il ne s’agit pas d’une dépolitisation réticente à tout débat d’opinion, mais de nous impliquer dans des débats qui dépassent le cadre de la politique de parti.
A.P : On a beaucoup parlé récemment du problème des sections bilingues menacées dans leur existence…
M.K : Oui, c’est un bon exemple. Il y a eu un grand débat politique autour des sections bilingues, mais en tant que fondation impliquée dans leur développement, nous estimons que c’est un débat avant tout professionnel. Tout le monde a pris position professionnellement, c’est-à-dire comme représentant du monde professionnel.
A.P : Pouvez-vous nous raconter une anecdote qui vous a particulièrement marquée durant toutes ces années ?
K.M : Il me semble que l’important, c’est que nous sentons tous les jours que nos partenaires nous soutiennent. C’est assez émouvant : quoi qu’il arrive, aucun des deux ministères ne se retire du programme. En cas de conflit, la volonté commune inébranlable de vouloir continuer ce partenariat fait que l’on cherche des solutions, plutôt que de fermer boutique ! C’est cette volonté qui est très stimulante. C’est grâce à cela que l’on peut prouver à qui n’en est pas encore convaincu que l’on fait un travail d’envergure.
A. P : Ce « travail d’envergure » dont l’exposition brosse le portrait est-il selon vous destiné à évoluer dans ses formes, et comment ?
K.M : Nous en parlerons à la table ronde de vendredi ( 8 mars ) . Il faudra trouver un jour ou l’autre des possibilités d’élargissement. On pourrait par exemple trouver d’autres partenaires. Pour le moment, en plus du Ministère, nous avons aussi la région Champagne-Ardenne. C’est à l’échelle des collectivités locales que L’Institut Français et nous essayons d’en trouver de nouveaux.
Peut-être faudrait-il aussi réussir à convaincre les autres pays francophones ? Il y a deux ans nous avons essayé de convaincre la Belgique, mais cela n’a pas fonctionné. Il faudrait peut-être réessayer ! Je pense aussi à d’autres pays comme la Suisse ou le Canada. Au niveau plus « hongrois », si je puis dire, la Fondation est la seule structure officielle qui fasse venir des professeurs natifs pour les écoles et qui les emploie. Si j’étais au ministère hongrois, j’évoquerais une possibilité d’élargissement dans d’autres langues européennes dites « petites » : italien, espagnol, et pourquoi pas des langues voisines d’Europe centrale… J’espère que les deux jours que nous allons passer à l’Institut Français vont nous permettre de mieux estimer les besoins, les envies, et que le débat permettra de faire émerger des idées.
A.P : Une dernière petite question : quel document vous a marqué parmi les archives que vous avez triées pour concevoir l’exposition ?
K.M : Les premiers statuts de la fondation, sans aucun doute. Avec leur papier jauni, usé, tapé à la machine…. On sent que l’on s’est beaucoup servi de cet acte fondateur au cours de ces 20 ans. C’était donc assez émouvant de le relire encore une fois.