La route de l’exode n’est pas sans encombre pour les résidents étrangers d’Ukraine, originaires d’Afrique et d’Asie, souvent victimes de discrimination. Ceux rencontrés à la gare de l’Ouest à Budapest témoignent.
Mardi en fin d’après-midi à Budapest, sur les marches du parvis de la gare de l’Ouest, Jakob fume une cigarette en tremblotant, l’air complètement hagard. Ce jeune Ghanéen a mis trois jours pour arriver à Budapest depuis Dnipro, une grande métropole du centre est de l’Ukraine.
Il peine à retenir ses larmes quand il évoque ses souvenirs : « Je travaillais à Donetsk dans une usine de textile avec mon frère. Mais il n’a pas voulu m’écouter quand je lui ai dit qu’il fallait qu’on s’en aille. Je suis parti à Dnipro et lui, il est resté. Depuis, je suis sans nouvelles de lui. » Il n’arrive pas à finir sa cigarette. Ce dont il a besoin, c’est d’une connexion internet pour contacter ses proches. « J’ai aussi besoin de chaussures », confesse-t-il un peu honteusement, alors qu’il marche pieds nus dans des baskets en lambeaux.
Les bénévoles du MKKP (le parti hongrois du chien à deux queues) s’occupent de lui dans une tente qu’ils ont installée en face de la gare. Cachée derrière les trams et sans signe distinctif, les rares réfugiés qui arrivent à la trouver peuvent s’y approvisionner en nourriture et en vêtements.
D’après l’ONU, plus de 660 000 réfugiés ont quitté l’Ukraine depuis le début du conflit.
Au sein de la gare, l’une des plus belles salles ornementées a été mise à disposition de deux organisations, l’Église de la foi ainsi un organisme de charité affilié à l’Église réformée de Hongrie. Une armée de bénévoles s’y affaire à distribuer des sacs de nourritures et des vêtements, tandis que de nombreux volontaires affluent depuis Budapest pour offrir des logements aux réfugiés, qui sont plus de 115 000 à avoir passé la frontière depuis le début de la guerre.
Pourtant, ce dont la plupart des réfugiés ont besoin, c’est d’être orientés. A la descente du train, à la frontière ukrainienne, un jeune homme africain s’exclame : « On est où là ? ». Il n’est pas le seul intéressé par la réponse : tout son groupe tend l’oreille pour se voir répondre Budapest, non sans qu’une certaine déception se lise sur leur visage.
Ils descendent tous d’un train en provenance de Záhony, le point de passage ferroviaire situé à la frontière ukrainienne. Étonnement, le train était loin d’être plein, et la majorité des passagers étaient non-Européens. Une fois à quai, c’est à peine s’ils remarquent le centre humanitaire mis à leur disposition.
Fuir la guerre…et le racisme
Joshua, un Nigérian de 27 ans qui travaillait à Kiev dans la logistique, témoigne : « J’ai hésité à aller en Pologne, mais il y a beaucoup trop de monde qui y va, c’est pour ça que j’ai préféré Budapest. En plus, on a entendu que la police était très raciste à la frontière» raconte ce Nigérian qui a mis cinq jours pour rallier Budapest. L’un de ses compagnons de voyage renchérit : « En Ukraine, ils ne m’ont même pas laissé monter dans le train à destination de la Pologne, on m’en a de suite fait redescendre ». Joshua n’aspire maintenant plus qu’à rentrer au Ghana, mais n’est pas certain de l’aide que l’ambassade pourrait lui apporter.
De ce point de vue, d’autres ont plus de chance. C’est le cas de Deen, Vipul et Depak, trois étudiants indiens en médecine, qui attendent aux abords de la gare d’être pris en charge par l’ambassade d’Inde à Budapest. « On est très chanceux, c’est un miracle que nous soyons en Hongrie aujourd’hui. On est parti hier de Kirovohrad [située à mi-chemin entre Kiev et la Crimée]. L’immeuble où l’on habitait a été détruit aujourd’hui par les bombardements » raconte Deen.
Ces jeunes étudiants, qui ont rallié la frontière hongroise en bus avant de bénéficier d’un ticket de train gratuit jusqu’à la capitale, ont délibérément choisi Budapest comme destination. « En Pologne comme en Roumanie, il y a beaucoup trop de monde. Surtout, on a vu les vidéos de l’armée qui battaient les réfugiés non européens » explique Deen, qui ajoute que les polices aux frontières ukrainiennes et hongroises ont été « très serviables ».
Les trois aspirants médecins se retrouvent maintenant dans une impasse : « on a investi cinq années de temps et d’argent dans nos études. Il nous restait juste une année à valider. Mais maintenant, notre université et notre diplôme n’ont aucun avenir » se désole Deen. Résignés, ils rentrent en Inde, pour le plus grand malheur de Vipul : « nous ce que l’on veut, c’est rentrer en Ukraine. On aime l’Ukraine, après cinq ans passés là-bas, c’est chez nous ».
A Medyka en Pologne
Notre correspondante à Przemyśl, à la frontière ukraino-polonaise, Hélène Bienvenu, qui a rencontré des étudiants originaires d’Afrique, Nigérians pour la plupart, au poste-frontière de Medyka, explique qu’outre des discriminations, qui ne sont pas systématiques, ces étudiants paient le fait d’être des jeunes hommes sans famille, alors que les hommes ukrainiens en âge de combattre n’ont pas le droit de quitter le territoire. « Les Ukrainiens appliquent à la lettre le principe universel « les femmes et les enfants d’abord », nous dit-elle.
Un grief fait aux autorités ukrainiennes est que les étudiants étrangers ne peuvent pas accéder aux trains gratuitement comme les autres. Selon Hélène Bienvenu, cela vient du fait qu’ils n’ont ni passeport ukrainien ni carte de résidence en Ukraine.
L’Union africaine s’est dite lundi soir préoccupée par le traitement infligé à ces ressortissants qui souhaitent quitter l’Ukraine, mais pour l’Union européenne, il n’y a aucune discrimination avérée, rapporte RFI.
Article publié avec le soutien de Heinrich Böll Stiftung | Bureau Paris.