Alors que les troupes russes ont été repoussées de la région de Kharkiv, au nord-est de l’Ukraine, les combats continuent et s’intensifient dans le Donbass, plus au sud. Paroles de soldats de retour du front pour une pause dans la région de Donetsk.
(Kramatorsk, région de Donetsk, envoyée spéciale -) Les villages du Donbass ont des allures de cités fantômes. Les routes sont désertes et sous le son des sirènes ou des bombardements sourds que l’on entend toutes les dix minutes, il n’y a quasiment que des tanks ou des véhicules militaires qui circulent. Ici, les checkpoints ressemblent à de petites forteresses, et les champs qui entourent les routes sont minés.
Beaucoup d’habitations ont été réquisitionnées ainsi que des véhicules parfois très vieux, dont les plaques ont été recouvertes de scotch kaki. Des groupes de soldats entassés dans de petites Lada sillonnent les villages. La plupart des commerces sont fermés. Mais il demeure quelques lieux ouverts où s’attroupent les policiers et les soldats : les stands de shawarma. C’est devant l’un de ces stands, à Kramatorsk, qu’un groupe de soldats d’une unité d’infanterie accepte d’échanger, sous couvert d’anonymat.
« On a un jour pour se laver, manger et voir un peu de normalité », explique un soldat surnommé ‘Oscar’. « On peut aussi téléphoner et envoyer des choses par la poste si nécessaire. La plupart de nos familles ont été évacuées loin d’ici », raconte le jeune soldat qui tient un jus d’orange dans une main et sa kalachnikov dans l’autre. Le jeune homme a l’air en forme, il est plutôt souriant.
Oscar et ses confrères étaient déjà sur le front du Donbass à l’aube de l’invasion russe. Ce sont des soldats professionnels. Ils constatent bien l’ampleur inédite du déploiement russe par rapport à ces dernières années. « Il y a beaucoup plus de tanks, d’artillerie et de soldats russes. La différence aussi c’est que maintenant ils ne se contentent pas de bombarder occasionnellement, ils bombardent énormément, et puis ensuite, ils essaient d’avancer. Ils traitent leurs soldats comme de la chair à canon ».
Un soldat qui dévorait son shawarma en silence intervient : « Avant il y avait des calibres interdits, maintenant il n’y a plus de limites », déplore-t-il. « On peut faire face, mais on a besoin de plus d’armes, ce serait bien que les Américains nous en donnent plus. On connaît très bien le terrain donc on pourrait prendre l’avantage, mais il nous faut plus d’armes ».
Le groupe de soldats affirme avoir vu des vidéos de combattants tchétchènes sur les réseaux sociaux, mais pas sur le terrain. Ils concèdent cependant que les soldats russes avancent, mais lentement. « Les Russes veulent encercler la ville, mais ils n’y arriveront pas », assure Oscar. « On les a repoussés de Kharkiv et on fera pareil ici », affirme-t-il, confiant.
« Les Russes ne sont pas bêtes »
Dans un village près de la ligne de front, un soldat tempère : « Les Russes ne sont pas bêtes, contrairement à ce que beaucoup de gens disent. Ils font pleins d’erreurs, mais ils ont une excellente artillerie et peuvent faire beaucoup de mal ».
La plupart des hôpitaux ont été militarisés. Devant l’hôpital de Kramatorsk, un soldat de vingt-trois ans attend devant une ambulance criblée de balles. Le jeune homme a l’air épuisé. Il se bat près de Lyman, où les Russes progressent. Sur sa main droite, un impressionnant tatouage rouge, représentant le diable, tranche avec le vert sombre de son uniforme.
« Les Russes ont quelques atouts, comme une excellente artillerie et puis de bons drones », raconte celui qui se fait appeler ‘Globe noir’. « Il y a beaucoup de forêts dans la région de Lyman donc leurs tanks ne peuvent pas juste passer facilement. Ils envoient leur infanterie, et on les tue. Mais le problème ce sont les missiles qu’ils tirent », ajoute-t-il.
Encore une fois, l’expression de chair à canon revient : « ils s’en foutent de la vie de leurs soldats, vraiment. En plus, les unités russes ne communiquent pas bien entre elles et souvent ils se tirent sur eux-mêmes », affirme le jeune homme.
S’il est impossible de vérifier toutes les affirmations de ces soldats ukrainiens, la plupart d’entre eux dressent les mêmes constats : des troupes russes féroces, qui bombardent massivement avant d’avancer, mais qui commettent beaucoup d’erreurs, sacrifient leurs soldats sans hésitation, et avancent beaucoup plus lentement qu’elles ne le souhaiteraient.
Ces éléments contribuent au maintien de la motivation des soldats ukrainiens, qui bien que fatigués, croient en leur réelle possibilité de repousser les troupes russes, à condition d’obtenir plus d’armes occidentales. Les militaires restent très discrets sur les pertes au sein de leurs troupes.
Article publié avec le soutien de Heinrich Böll Stiftung | Bureau Paris.