Depuis plusieurs années, la journée commémorant la fin de la Deuxième Guerre mondiale donne lieu à des tensions mémorielles. À Prague et ailleurs en République tchèque, commémorations, manifestations et contre-manifestations ont de nouveau attisé la controverse, d’autant plus que la géopolitique du présent fait de plus en plus écho aux événements du siècle passé.
Si la « Fête de la victoire » avait perdu son rôle de célébration de l’amitié tchécoslovaco-soviétique dès 1989, elle donne carrément lieu depuis quelques années à de drôles de face-à-face. En effet, motards pro-Poutine, nationalistes de droite, anti-occidentaux de gauche et immigrants de l’ex-Union soviétique se sont frottés à des contre-manifestants lors de diverses commémorations.
En route vers Berlin, les motards du groupe nationaliste russe des « Loups de la nuit » ont fait étape à Prague, lundi, pour rendre hommage aux soldats soviétiques tombés lors de la prise de la ville. Ils étaient attendu par plusieurs sympathisants ainsi que par des opposants tenant des drapeaux tchèques, européens, états-uniens et ukrainiens. Ces motards sont des habitués de la controverse en raison de leur engagement pro-Poutine, leurs prises de position nationalistes et homophobes et leur participation sur les terrains de guerre en Ukraine.
Après quelques escarmouches sans conséquences, la statue du maréchal soviétique Ivan Koniev a été aspergée de peinture rose à Prague dans la nuit de lundi à mardi. Le maréchal Koniev avait certes libéré la ville de l’occupation allemande, mais il avait par la suite participé à l’écrasement brutal de la révolution hongroise de 1956, puis participé à Berlin en 1961 à la construction du mur. Comme c’est la seconde année consécutive que la statue est visée, la mairie de l’arrondissement a déclaré vouloir trouver un compromis en y ajoutant une plaque trilingue (tchèque, anglais, russe) évoquant les côtés sombres du personnage.
De bien drôles d’alliances
Le 8 mai révèle certaines bizarreries de la scène politique tchèque : l’amour pour le propriétaire du Kremlin, Vladimir Poutine, partagé tant par l’extrême-droite que par l’extrême-gauche, réunies par leur détestation de l’Union européenne, des États-Unis et du libéralisme en général. Mais n’oublions pas non plus les penchants pro-russes de l’ancien président de droite (ODS), Vacláv Klaus, et du président actuel, l’ancien social-démocrate du ČSSD, Miloš Zeman.
Certains des sociaux-démocrates partagent d’ailleurs cette poutinophilie et cela ne va pas sans créer des remous au sein du parti. Jaroslav Foldyna, l’un des vice-présidents du ČSSD, a participé activement aux rencontres des « Loups de la nuit », où il a violemment pris à partie un contre-manifestant, lundi, le heurtant même de la tête. Le parti s’en était distancé à l’avance et, suite à l’incident, son président, Jan Hamáček, a appelé Foldyna à présenter des excuses. Celui-ci a refusé dans une vidéo publiée sur Facebook, dans laquelle il s’est lancé dans une violente diatribe contre les ONG, les médias publics, les immigrants, les Antifa, etc.. Le site de l’Antifa tchèque avait d’ailleurs diffusé récemment une enquête exposant notamment les contradictions de Foldyna, lequel soutient aussi le nationalisme serbe et s’est fait tatouer sur le bras droit le symbole utilisé par l’extrême-droite serbe depuis 1991…
Controverses historiques
Après la libération de la majeure partie de la Tchécoslovaquie par l’Armée Rouge en 1944-1945, le 9 mai était monté en épingle par le régime communiste pour célébrer l’amitié avec l’Union Soviétique. Mais l’invasion du pays par les troupes soviétiques et du Pacte de Varsovie en 1968 a bouleversé l’image du frère russe et c’est en tant qu’occupants que les troupes soviétiques furent chassées du pays après la révolution de 1989. Par la suite, la Tchéquie et la Slovaquie se sont mis à l’heure occidentale, fêtant la libération le 8 mai, mais sans plus glorifier les troupes soviétiques.
Depuis plusieurs années, le 8 mai a cependant repris une importance symbolique, alors que la date est utilisée par le régime de Vladimir Poutine pour se réclamer de la lutte anti-fasciste, en Russie comme sur la scène internationale. En Tchéquie, c’est sur fond de l’Euromaidan à Kiev, de guerre dans l’est de l’Ukraine et du regain des tensions Est-Ouest, que le 8 mai est redevenu un champ de bataille mémoriel.
Photo : Yan Renelt, MAFRA