Sorti en France pour la première fois en 1957 et primé à Cannes, sous le titre Ils aimaient la vie, Kanał, le second long-métrage du maître du cinéma polonais est de nouveau sur les écrans ce mercredi. L’occasion de se remémorer un chapitre oublié de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et la virtuosité de Wajda.
Le cinéaste polonais Andrzej Wajda a disparu en octobre 2016. Il a laissé derrière lui une œuvre d’une richesse rare. Celle-ci explore en effet des thèmes très divers, tout en croisant les genres et les styles les plus disparates. De l’amour impossible de jeunes désœuvrés dans Les innocents charmeurs (Niewinni czarodzieje, 1960) à l’existence ténébreuse du peintre Władysław Strzemiński dans son dernier opus Les fleurs bleues (Powidoki, 2016), en passant par les méandres de la Révolution française dans Danton (1982) et la terreur quotidienne vécue par des orphelins juifs du Ghetto de Varsovie dans Korczak (1990), son cinéma a nourri l’imaginaire commun polonais de visions, à la fois abruptes et foisonnantes, du présent et du passé. Le retentissement de son œuvre peut d’ailleurs se mesurer bien au-delà des frontières de son pays.
Il apparaît difficile d’assigner un genre unique aux films d’Andrzej Wajda, ceci étant remarquable dès ses débuts. Ses trois premiers longs métrages — Génération (1954), Kanał (1957) et Cendres et diamant (1958) — empruntent certes quelques codes au film de guerre, mais puisent surtout du côté du film noir, du drame social et du mélodrame. Et si l’on compare souvent le cinéaste à un scrutateur de l’Histoire et l’âme polonaises, ce n’est pas seulement à cause de l’approche singulière des événements historiques que son cinéma propose, mais surtout parce que ses films révèlent les failles intimes de personnages en butte à des situations traumatiques. L’intérêt indemne que ses films gardent à nos yeux de spectateurs contemporains repose sur leur manière de révéler une adversité sans relâche se conjuguant à un perpétuel sentiment de frustration. C’est moins d’une abstraite mécanique de la fatalité dont il s’agit qu’une fabrique dynamique du tragique humain.
Suite à la ressortie sur copie restaurée du chef-d’œuvre Cendres et diamant en juillet dernier, le distributeur français Malavida (lire notre entretien avec ses fondateurs) nous invite à redécouvrir le précédent film du maître : Kanał (sorti en France pour la première fois en 1957 sous le titre Ils aimaient la vie). L’occasion de se remémorer un chapitre oublié de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, à savoir l’écrasement de l’Armée de l’intérieur pendant l’insurrection de 1944 à Varsovie, et de mettre en perspective la lutte acharnée d’une poignée de soldats se dirigeant vers la mort. Revoir Kanał permet également de constater l’exceptionnel talent de mise en scène déjà affirmé d’Andrzej Wajda, dont le style s’ancre dans un flamboyant clair-obscur embrassant d’une grande élégance la trajectoire déchirante de figures romantiques qui déambulent dans les ruines et les souterrains d’un enfer terrestre.