Dans le bassin minier silésien, la reconversion minière est en marche y compris à Jastrzębie-Zdrój, fleuron du charbon sidérurgique européen. La municipalité mise d’ores et déjà sur la culture, le tourisme et les industries créatives pour tourner la page de son or noir. Même son de cloche en terre houillère à Ruda Śląska.
Jastrzębie-Zdrój, envoyée spéciale – D’ici 2049, la Pologne aura définitivement fait ses adieux au charbon, une ressource dont le pays tire encore 70% de son électricité. Mais sans doute pas encore à Jastrzębie-Zdrój, une municipalité de 80 000 habitants, située à la frontière tchèque. Ancien fleuron du thermalisme au XIXe siècle, la localité finit par se tourner vers le charbon sidérurgique à la faveur de gisements qu’elle découvre dans les années 1950. La ville grandit comme jamais et se dote d’un centre dans le plus pur style réaliste socialiste. Si elle a vu fermer plusieurs de ses mines depuis, les quatre restantes continuent de produire 15 millions de tonnes de charbon sidérurgique exploitée par une filiale privée du trésor public polonais.
Une ressource encore indispensable à la production d’acier, exportée à ce titre dans l’Europe toute entière. La fermeture des mines à Jastrzębie-Zdrój, n’est donc pas prévue pour demain comme le souligne Alina Pagoda – experte de la transition juste auprès de Polska Zielona Sieć, une ONG polonaise spécialisée dans le développement durable. “Aucune date de sortie du charbon n’a été fixée pour les mines de Jastrzębie-Zdrój. [Dans les fonderies] il existe bel et bien des solutions de remplacement du charbon sidérurgique impliquant l’hydrogène sauf que la Pologne ne dispose pas suffisamment d’énergie renouvelable à ce jour pour disposer d’un hydrogène à vert, à 0 émission. Donc d’ici à ce qu’on y parvienne le charbon sidérurgique sera exploité à Jastrzębie-Zdrój”.
Selon les prévisions des experts, les 25 000 mineurs travaillant en ville, dont 5 000 habitants de Jastrzębie-Zdrój devraient disposer d’un répit de minimum 20 ans, sans doute 30 ans. Ce qui n’empêche pas la maire Anna Hetman d’être prévenante : “les progrès peuvent être si rapides que nous sommes incapables de prédire quand ce moment charnière se produira, cela pourrait bien être dans 10 ans”, remarque-t-elle dans son costume bleu. Pour cette ancienne institutrice, il s’agit de préparer le mieux possible sa municipalité à une transformation inévitable.
Et pour se faire, de nombreux investissements, souvent financés à l’aide de fonds européens, ont déjà fleuri en ville pour revaloriser le cœur thermal historique de Jastrzębie-Zdrój, centré autour de maisons à colombages, bordant un petit parc, lui même entouré d’un bois. C’est dans ces environs champêtres qu’une rue piétonne achalandée de cafés et de restaurants a été inaugurée à l’automne 2023, elle devrait de surcroît redonner aux habitants le sentiment de disposer d’un vrai centre-ville. A proximité, de nombreux bâtiments thermaux ont été réinvestis pour la culture, à l’instar de l’ancien centre administratif des cures devenu bibliothèque. De quoi réjouir Karolina Reguła, l’une de ses bibliothécaires “Les habitants sont fiers de ce passé thermal et c’est une bonne chose qu’on y revienne, même si on a plus les infrastructures qui vont avec. Et puis Jastrzębie-Zdrój est une ville verte. D’ailleurs cela surprend les gens de l’extérieur : c’est effectivement paradoxal pour une ville minière”.
A deux pas de là, une halle renoue avec la cure permettant à tout à chacun d’inhaler une eau thermale importée d’une commune voisine car à force d’avoir creusé son sous-sol Jastrzębie-Zdrój en a perdu ses eaux bienfaisantes. Mais l’exploitation minière a aussi fait naître un plan d’eau, sur lequel les résidents naviguent volontiers en kayak sitôt les beaux jours venus. Un endroit, qui à terme pourrait bien s’agrandir d’une guinguette et accueillir des touristes. Des touristes qui viennent déjà pour parcourir sa superbe piste cyclable d’une cinquantaine de kilomètres aboutissant en Tchéquie. Une voie verte, qui emprunt un ancien couloir ferroviaire.
Non contente d’avoir étrenné une salle de concert à l’architecture ultra moderne et à l’acoustique remarquable fin 2021, la mairie a également ouvert en septembre 2023 un passionnant musée entièrement dédié à l’histoire du charbon et à son exploitation dans le monde comme localement. C’est ainsi que les anciens bains douches de la mine Moszczenica, abandonnée dans les années 2000, ont retrouvé une nouvelles jeunesse. Rafał Jabloński, fils de gueules noires a été placé à sa tête. “Avant que les mines n’ouvrent dans les années 1950, la localité ne comptait que 3 000 habitants. Puis la main d’œuvre a afflué des quatre coins du pays. Aujourd’hui encore seuls 6 % de la population locale est originaire de la région”, témoigne cet ancien journaliste qui se balade au sein du “Carbonarium”, l’exposition trilingue (polonais, tchèque et anglais) qui relate le cycle du carbone sur plusieurs étages. Tout une section du parcours est d’ailleurs consacrée aux divers coups de grisou, les plus récents ayant emporté 26 mineurs en avril 2022.
“Le public pourra écouter des témoignages de sauveteurs”, affirme le quarantenaire Rafał Jabloński avant d’enchaîner avec la “salle des pendus, conservée intacte”. C’est là que les mineurs enfilaient leur combinaison avant de descendre sous terre. “Notre public, c’est avant tout les habitants de la ville, notamment les écoliers, puis les touristes : nos voisins tchèques, les Silésiens et au-delà”, ajoute le directeur, qui regrette que ses concitoyens aient un problème d’estime de soi : “les habitants de Jastrzębie-Zdrój ne sont pas en mesure d’apprécier ce que la ville leur offre. Ce centre culturel, ses ateliers, débats, projections de film ou concerts vont nous permettre de renforcer l’identité locale”. A terme le bâtiment accueillera un café-restaurant et ouvrira une deuxième aile où une partie des locaux sera louée à des entreprises. “C’est un endroit aux multiples fonctions où il sera possible de venir travailler mais aussi de se reposer, de regarder une exposition de sortir, de manger, de discuter affaire avec quelqu’un…”, abonde Anna Hetman.
En Bohême du Nord, la ville qui rêvait de géothermie
Un renouveau salué par l’analyste Alina Pogoda. “Le secteur des loisirs et du tourisme est très important dans le développement des anciens territoires miniers. Certaines villes comme Jastrzebie-Zdrój disposent d’un fort potentiel à exploiter. La culture est quant à elle essentielle pour rendre l’environnement attractif, pour que chacun dispose de lieux où sortir et passer son temps libre, une condition sine qua non pour retenir la jeunesse”, souligne-t-elle encore. “Il faut également faire en sorte que les traditions liées à la mine ne disparaissent pas. La culture peut jouer un rôle non négligeable à ce niveau. Et puis certains bâtiments sont de vraies perles architecturales”.
Justement, à une cinquantaine de kilomètres plus au nord, dans le bassin houiller silésien, la municipalité de Ruda Śląska (140 000 habitants) peut s’enorgueillir de superbes édifices en brique surmontés de céramique rouges ou vertes, correspondant tantôt à sa fonderie ou à ses mines. Ici aussi, l’importance du charbon recule, comme le souligne son maire, Michał Pierończyk. « L’industrie minière, est un élément encore important pour l’économie locale mais il l’est de moins en moins. De moins en moins d’habitants en sont directement dépendants, les mines de la villes n’emploient que 6 000 personnes dont 4 000 de nos habitants ».
Il faut dire que la transition post-charbon, Ruda Śląska l’a déjà connue. D’abords dans les années 1990, un tournant qui s’est avéré un marasme pour bien de ses habitants. Mais aujourd’hui les choses ont changé : la Pologne est désormais membre de l’Union européenne et bénéficiaire nette de ses fonds ; le pays s’est considérablement enrichi au point d’avoir dépassé le Portugal au classement du PIB/ habitant et l’économie s’est diversifiée. Katowice, la capitale régionale n’est plus guère une ville minière et Ruda Śląska, a fusionné dans sa banlieue. La fermeture de sa mine de charbon, Pokój, en 2022, certes prévue depuis des années, s’est plutôt faite dans la douceur. “Le chômage n’a pas augmenté en ville, nous sommes toujours à 2-3%”, selon l’édile qui précise qu’“une partie des anciens mineurs a pris sa retraite, les autres ont été réaffectés dans d’autres mines”.
Le recul du charbon dans l’économie silésienne est une constante pour une région qui a su attirer des investissements notamment dans la construction automobile. “L’économie silésienne est désormais très diversifiée, elle est bien moins dépendante de la houille, qui représente moins de 80 000 emplois directs actuellement alors que dans les années 80-90, le secteur comptait 400 000 mineurs. Aujourd’hui, les jeunes n’ont plus envie de travailler à la mine”, avance Alina Pogoda, ingénieure des mines de formation. A la différence des années 1990, où la transition à l’économie de marché s’était faite brusquement laissant des dizaines de milliers de mineurs sur le carreau, il y aura cette fois-ci tout un arsenal financier à disposition, à commencer par un fond européen pour une transition juste, doté de 2,2 milliards d’euros pour la seule région Silésie. Des dotations sont également prévues pour renforcer le secteur culturel.
Et Ruda Śląska compte bien en profiter pour valoriser son haut-fourneau qui ne tourne plus aujourd’hui. “Nous souhaitons rénover le site qui prendra de nouvelles fonctions, notamment culturelles, environnementales, sociales et éducatives”, conclut Michał Pierończyk,
Article publié avec le soutien de Heinrich Böll Stiftung | Bureau Paris – France.