Entre Bohême et Moravie, le village où tout le monde vote Zeman

Les Tchèques votent vendredi et samedi pour élire leur nouveau président. Tandis que la capitale se porte sur le libéral Drahoš, à moins de cent kilomètres de Prague, le petit village de Proseč est acquis au président sortant Zeman, « un homme comme nous ». Reportage.

Reportage d‘Ivana Svobodová publié le 16 janvier sur le site internet de Respekt sous le titre Prezident jako my (Un président comme nous). Traduit du tchèque par Antonina Stepniak.

Il se trouve à moins d’une demi-heure de route après la sortie de l’autoroute de Prague. Entre les forêts et les prairies de la région vallonnée de Vysočina, arrosées par les gouttes de pluie en cette première semaine de janvier ; par la ville de Humpolec le long des zones industrielles, où l’on recherche en vain de la main-d’œuvre locale ; le chemin mène jusqu’au village avec son élégante chapelle. Au beau milieu d’une journée ordinaire, il n’y a personne ici. Seule une factrice traverse le village pour déposer les bulletins électoraux dans les boîtes à lettres. Grâce aux dernières élections, la commune de Proseč, qui n’a même pas encore 80 ans, est devenue un village connu dans toute la Tchéquie : mise à part un habitant, tous ses habitants ont voté Miloš Zeman. Avec un résultat de 98,18 %, elle est devenue la commune la plus « Zeman » du pays.

On se connaît

En ce moment, l’habitant le plus en vue de Proseč s’appelle Josef Jandejsek, âgé de 67 ans. Du moins, selon le résultat des élections d’il y a trois ans qui l’ont fait maire. Aujourd’hui, le voilà assis dans son petit bureau de l’hôtel de ville, travaillant sur des dossiers avec son adjoint, Vladimír Veleta. Ils attendent un bus loué qui doit les déposer avec d’autres voisins à Kaliště, un village des environs, pour faire leurs adieux à l’église à l’habitant le plus âgé de Proseč, décédé dernièrement.

« Ensemble, on vit bien ici, on se connaît. Quand quelqu’un tombe malade, les voisins l’aident. »

Le maire passe une commande téléphonique pour une nouvelle débroussailleuse pour la commune, sur l’écran de son ordinateur s’affichent des nouvelles de la région via un système informatique intégré. Un Shar pei (un chien de combat chinois, ndlr) a été perdu à Humpolec. Veleta, son adjoint, liste les documents avec une liste manuscrite et cochée par les habitants, pour savoir combien il y a d’habitants en âge d’activité sur les 74 personnes que compte la commune. Il en a compté 38, et une grande partie s’approche déjà de la retraite.

Sur le tableau d’affichage, à côté des instructions pour planter correctement le drapeau, est affichée une liste écrite au feutre recensant les personnes qui vont prochainement fêter des anniversaires ronds, afin que les adjoints n’oublient pas d’aller apporter un petit paquet cadeau, ce qui se transformera immanquablement en agréable conversation avec un rafraîchissement dans les cuisines de la fête. La convivialité des habitants du village est bien illustrée par les photographies publiées sur les sites Internet de la commune prises lors de la fête des moissons, de la fête des mères, des tournois des pompiers, des fêtes foraines ou lors de la dernière rencontre des natifs de Proseč. « Ensemble, on vit bien ici, on se connaît. Quand quelqu’un tombe malade, les voisins l’aident, par exemple en prenant soin des animaux« , dit le maire avec de la bienveillance et un sourire. Pour savoir combien il y a d’enfants dans le village en âge d’aller à l’école, il n’a pas besoin de chercher dans les documents usés de la mairie, il récite les trois prénoms : Martin, Natalka et Adam.

Lors de la promenade dans le petit village, le maire montre fièrement tout ce qu’ils ont réussi à faire ici : restaurer l’extérieur de la caserne de pompiers, le Bildstock et la chapelle, construire un nouveau château d’eau. Si tout va bien, ils pourront peut-être le montrer à Miloš Zeman. En réponse à une question d’un habitant de Proseč au dernier meeting à Humpolec, le président a promis que – s’il obtient de nouveau autant de voix à Proseč qu’aux dernières élections – il viendra y rencontrer ses électeurs. Cette déclaration a rapidement fait le tour. « Alors j’espère, que l’on votera encore tous pour lui« , rigole le maire, « moi en tous cas je voterai sûrement pour lui. Et de ce que j’ai entendu des autres, eux aussi« . Zeman a gagné la sympathie dans le village – ce que le maire a appris des voisins – car il est le même que les gens ici : un homme normal, qui se distingue avant tout par son courage. « Il n’a pas peur de dire la vérité« , explique le maire. Quelle vérité prononcée par le président a récemment attiré son attention et de quoi le président devrait-il avoir peur ? « Probablement de la même chose dont ont peur ceux qui ne disent pas la vérité. Par exemple les autres ne nous avertissent pas de ne pas faire des courbettes devant l’Union Européenne. Zeman si.« . D’après le maire, parmi ces vérités, il y a le fait que l’Union européenne veut « imposer des migrants » à la tranquille Tchéquie, alors que Zeman y tient tête courageusement. Des personnes amenées par une agence de Roumanie travaillent dans la proche ville de Humpolec, et déjà cela éveille des ressentiments chez les habitants. Des querelles à la discothèque et le cas d‘une fille qu’un de ces employés a essayé de violer renforcent l’opinion des gens que, Roumains ou autres, ça n’en vaut décidément pas la peine.

« Il n’a pas peur de dire la vérité« 

« Et le principal c’est que Zeman ne possède rien. Rien du tout, seulement ce bateau et deux chambres dans une maison en Vysočina« , dit le maire, « c’est ce qui plaît aux gens, parce que tous les autres se sont sucrés« . Le fait que Zeman a déclaré une épargne d’une dizaine de millions n’a pas encore été appris ici au village, mais au vu d’une conversation avec les habitants plus tard dans l’après-midi, il est clair que ça ne leur importe pas. Il paraît que Zeman, à la différence des autres candidats avec des économies, « n’a pas le besoin de faire sa pelote, car c’est un homme ordinaire, qui ne s’éparpille pas« . Tandis que les autres candidats, eux, « ont forcément dû avoir des relations avec des communistes, autrement ils n’auraient pas pu accéder à ces écoles à l’époque« . Zeman diplômé, ancien membre de KSC [le Parti Communiste de Tchécoslovaquie, ndlr], est pour les habitants de Proseč « quelque chose de totalement différent, parce que les communistes l’ont tout de même viré à la fin« . Pour eux, les candidats qui ont beaucoup voyagé sont aussi suspects. Selon les habitants du village, traverser le monde, comme scientifique ou comme médecin, n’est pas aussi valorisant « qu’aider la maison« . Zeman est populaire pour « n’avoir jamais voyagé nulle part« .

Certainement qu’eux ne voyagent pas non plus. La dernière fois que le maire est parti en vacances, c’était il y a trente ans en Yougoslavie et il est allé voir Vienne quand le rideau de fer est tombé. L’adjoint au maire est allé une fois en Slovaquie avec la paroisse et cela lui suffit amplement. « Au fait, attendez, j’ai été à Moscou et à Kharkov une fois. On nous avait envoyé avec l’entreprise en récompense de notre travail exemplaire« , se rappelle au bout d’un moment l’adjoint, ancien vernisseur. « C’était pas mal, mais pourquoi aller ailleurs ? C’est beau ici et il y a toujours assez de travail à faire autour de la maison« .

Ils ne sont pas d’ici

A l’enterrement, il y avait aussi le plus jeune homme du corps des sapeurs-pompiers, Jakub Sebela. Il vit depuis six ans avec sa petite-amie de vingt-six ans dans une maison sur la place du village, avec un fer à cheval en céramique accroché à la porte, portant les prénoms Kuba et Marketka. Ils possèdent deux chevaux et deux chiens et travaillent à Humpolec. Lui comme magasinier pour la société Hranipex, elle pour une entreprise de couverts en plastique. Ils ont du mal à imaginer une vie meilleure ailleurs. L’abondance de travail dans la région et les salaires plus élevés leur ont permis d’obtenir un prêt bancaire pour la maison et d’avoir des loisirs : Marketa pour ses chevaux et Jakub, à part la ferme, pour les voyages et les matchs du Sparta, l’équipe de hockey de Prague. « Alors je n’ai pas du tout le temps pour m’intéresser aux candidats à la présidentielle. Je ne sais pas qui sont les autres candidats, et en plus je n’ai besoin de comparer personne. Je sais que je voterai encore pour Zeman. Je l’aime bien comme personne et je sais des gars du bar qu’il est bon« . Marketa ira aussi probablement voter Zeman. « Au début j’avais l’impression qu’il faisait scandale, mais au contraire, il a de bonnes idées. Lesquelles ? Cela, je ne sais pas, mais il n’y a pas le choix, je ne connais personne d’autre« .

« Il n’y a pas le choix, je ne connais personne d’autre »

Entre les chevaux, le travail et le hockey, Marketa et Jakub n’ont pas le temps de suivre les candidats. Photo : Milan Jaroš.

Il apparaît rapidement que le mécontentement des habitants n’est pas seulement causé par les étrangers de l’agence de Humpolec, ni par les réfugiés de Syrie et d’Afrique qui sont venus en Europe pour « faire fortune » ou « nous faire exploser« . A chaque pas on entend parler de ces ignobles Pragois qui ont acheté des maisons ici et de la peur que la commune avec sa moyenne d’âge élevée et ses trois enfants soit un jour « toute à eux ». Les jugements sur les Roumains de Humpolec, les Syriens des infos à la télé et les Pragois se répètent à l’envie à Proseč. « Ils ne sont pas d’ici, ils n’arrivent pas à s’adapter à nos habitudes« . Quelles sont ces habitudes que le vacancier n’assimile pas ? Les étrangers sont « simplement différents« .

La gentillesse des habitants dans le bar fumeur – en guise de protestation face aux régulations de l’Etat – contraste avec les conversations sur les affreux Pragois. Les pompiers assurent les visiteurs pragois – la bière se vidant et les cendriers se remplissant – qu’ils savent bien que tous les Pragois ne sont pas des crétins. « Ceux qui nous dérangent ce sont ceux qui occupent notre commune et ceux qui volent Vysočina« . Les occupants leur gâchent leurs résultats de vote, car qui d’autre que quelqu’un avec une carte d’électeur expédiée aurait donné aux dernières élections parlementaires ces deux voix aux Verts ? Et on craint qu’a nouveau on ne leur gâche de la même façon l’élection de Zeman. « Et ils nous volent, car toute Prague boit notre eau de Zelivka« , continue l’homme au bout de la table, « et ici, on n’en a même pas un centime« .

L’UE nous a interdit le rhum, donc on boit du Tuzemák (les pompiers au bar). Photo : Milan Jaroš.

L’après-midi est sombre, un seul homme attend à l’arrêt de bus. Il s‘agit d’un homme qui fait partie de la vingtaine de personnes qui ne sont pas allées voter aux dernières élections. « Je n’irai pas non plus maintenant, c’est la même canaille, Zeman est juste une marionnette. De qui ? De l’État qui fait ce qu’il veut« . Il irait voter, comme il dit, seulement si quelqu’un de vraiment fort apparaissait de nouveau sur la scène. « Quelqu’un comme Sládek. C’était le dernier homme pour qui j’ai voté autrefois. Il chasserait les Tsiganes et il ne laisserait pas rentrer ces Roumains ici« . [ndlr : Sládek est un politicien d’extrême-droite, lire ici]. Il ajoute : « Comment il le ferait, ça je ne sais pas, mais Sládek y arriverait« . Lui-même est satisfait de sa vie au village, il attend à l’arrêt de bus comme tous les jours son fils unique, Martin, âgé de 12 ans, qui rentrera de l’école de Humpolec. Quand il en parle, ses yeux s’illuminent. « Il voulait être un éboueur comme moi, mais il aime bien les ordinateurs, alors j’espère qu’il va faire des études« , dit l’heureux père.

Martin, âgé de 12 ans, raconte quand il est allé une fois à Prague avec son oncle et sa tante. Il a reçu pour son anniversaire un voyage au rassemblement des youtubers où il a pu porter un casque de réalité virtuelle sur les yeux. « Et avec maman on est allés au bord de la mer en Italie, papa n’aime pas ça, et on est aussi allés au château de Kamen. Donc je suis déjà allé presque partout« , dit le garçon. Aimerait-il rester à Proseč quand il grandira ou rêve-t-il d’une vie ailleurs ? « Oui, j’aimerais travailler sur l’ordinateur…« , réfléchit le garçon, avant que son père lui coupe l’idée. « Où que tu ailles, tu auras toujours une maison ici. »