Victoires « pro-russes » en Bulgarie et en Moldavie. Le retour en force de Poutine en Europe de l’Est ?

Dans d’autres circonstances, ces résultats électoraux auraient attiré beaucoup moins l’attention de la presse occidentale. Dans d’autres circonstances. Car la situation internationale est devenue si sensible aux changements de gouvernement, si imprévisible, si agitée, qu’une élection en Moldavie ou en Bulgarie prend une ampleur géopolitique démesurée.

Article publié originellement le 14 novembre 2016 dans Révolution permanente.

En effet, ce dimanche deux candidats présentés comme « pro-russes » ont remporté les élections présidentielles dans ces deux pays ce qui, dans le contexte actuel, inquiète les gouvernements impérialistes de l’UE. Après le Brexit et l’élection de Trump, assiste-t-on à un retour de l’influence russe en Europe de l’Est ?

Bulgarie : Après la victoire de Roumen Radev, le gouvernement démissionne

En Bulgarie, Roumen Radev a obtenu une large victoire face à la candidate du parti du premier ministre (GERB), Tsetska Tsatcheva, remportant près de 60% des voix au second tour. Radev, ancien militaire et sans expérience politique préalable, a été soutenu par le Parti Socialiste. Il apparaissait clairement comme un « outsider » du système de partis instauré dans le pays depuis les années 1990. Son discours portait sur une politique plus « amicale » vis-à-vis de la Russie, il est même allé jusqu’à exiger la fin des sanctions européennes à l’encontre de Moscou et a suggéré que « la communauté internationale » devait reconnaître de facto l’annexion de la Crimée par la Russie.

Un autre élément important de sa campagne a été son discours xénophobe contre les réfugiés, déclarant qu’il ne voulait pas que la Bulgarie devienne « le ghetto des migrants en Europe ». Cependant, Radev n’a aucunement remis en cause l’appartenance de la Bulgarie à l’UE et à l’OTAN.

Malgré le fait que la fonction présidentielle soit très limité en Bulgarie et que le pouvoir exécutif soit majoritairement concentré dans le poste de premier ministre, le gouvernement de centre-droite Boïko Borissov présentait sa démission dès dimanche soir. Pour le parti au pouvoir, l’élection de Radev était une démonstration qu’il n’avait plus de majorité pour diriger le pays. Il y aura sans aucun doute un gouvernement provisoire jusqu’au printemps 2017, quand des élections législatives anticipées auront lieu.

Victoire du « Trump moldave » aux présidentielles moldaves

En Moldavie, le même jour, c’est un autre « pro-russe » qui est arrivé en tête du second tour de l’élection présidentielle. Igor Dodon a en effet obtenu 52% des voix face à la candidate soutenue par la coalition pro-européenne au pouvoir, la libérale et ancienne fonctionnaire de la Banque Mondiale Maia Sandu. Le profil « pro-russe » de Dodon est beaucoup plus marqué que dans le cas de Radev. Dodon a fait campagne autour de son « amitié » avec Poutine et a menacé de quitter l’Accord d’association avec l’UE pour associer la Moldavie a l’union douanière pilotée par la Russie.

Dodon, surnommé aussi le « Donald Trump moldave », a récolté le vote des mécontents de la gestion des partis pro-européens depuis 2009. Non seulement ces partis se sont révélés être complètement liés à des oligarques, profondément corrompus, qui se sont emparé des richesses nationales mais se sont fait également complices de la « disparition » d’un milliard d’euros (l’équivalent à 12% du PIB national) des coffres des trois principales banques du pays. L’affaire du milliard d’euros disparu a déclenché une vague d’indignation et manifestations à travers le pays.

Un autre élément important du discours de Dodon a été son engagement à trouver une solution définitive au conflit entre la Moldavie et la Transnistrie, région habitée majoritairement par des russophones qui proclame son indépendance depuis 1991. En effet, dans un pays où 20% de la population est russophone, Dodon n’a pas hésité à brandir le risque « d’union avec la Roumanie » que représenterait une victoire de sa rivale. Il n’a pas hésité non plus à disséminer le poison xénophobe en affirmant que sa rivale aurait passé un accord avec l’Allemagne pour accueillir 30.000 réfugiés dans le pays .

Comme en Bulgarie, en Moldavie la fonction présidentielle est presque symbolique. Cependant, c’est la première fois en 20 ans que les moldaves élisent leur président à travers une élection directe. Dans un pays en crise politique et gouvernementale chronique depuis des années, cela représente un changement important. Bien qu’avec moins de pouvoir que le gouvernement, le nouveau président pèsera de tout son poids dans la vie politique, légitimé par le soutien populaire obtenu dans les élections.

Montée du populisme réactionnaire

Les résultats électoraux en Moldavie et en Bulgarie confirment la poussée des forces populistes réactionnaires au niveau international par le biais de candidats se présentant de façon démagogique comme « outsiders » ou « anti élite ». Cependant la réalité est plus contradictoire que cela. En Moldavie, Dodon, a non seulement déjà été ministre quelques années auparavant, mais il pourra très facilement s’arranger avec les oligarques locaux, comme avant 2009 ils s’arrangeaient avec les forces « pro-russes » qui dirigeaient le pays. En Bulgarie Radev, bien que nouveau en politique, compte sur le soutien du parti socialiste qui fait partie du régime et de « l’élite » depuis les années 1990.

Cependant, la Bulgarie et notamment la Moldavie font partie des pays les plus instables de la région depuis plusieurs années. Mais aussi, ils sont parmi les pays les plus pauvres du continent. Le vote pour des candidats populistes présentés comme « pro-russes » est en réalité un vote contre les classes dominantes « pro-européennes » qui dirigent le pays depuis des années. Ces résultats sont l’expression de la crise de légitimité de ces formations politiques.

Néanmoins, pour le moment, c’est le populisme de droite, xénophobe, autoritaire et démagogue, qui tire profit de cette crise.

Renforcement de l’influence de Poutine

Ces résultats électoraux auront sans aucun doute des conséquences géopolitiques qui dépassent les enjeux nationaux. En premier lieu, on peut s’attendre au renforcement de Poutine et des forces pro-russes dans la région et donc ne pas exclure le renforcement des forces pro-russes en Ukraine. Si la Moldavie avance sur son association avec la Russie et que la pression de différents gouvernements de la périphérie – mais pas que : Italie, Grèce… – arrive à assouplir les sanctions contre le Kremlin, Poutine pourrait commencer à regagner un peu du terrain perdu depuis 2014.

Si ces élections ont un impact aussi important, c’est parce qu’elles ont lieu après la victoire de Donald Trump aux États-Unis et que durant sa campagne, celui-ci s’est déclaré favorable à une collaboration avec Poutine. Cela soulève une grande inquiétude chez les dirigeants polonais et des pays Baltes mais aussi parmi les gouvernements des puissances de l’UE. En effet, cet éventuel rapprochement de Trump avec Poutine pourrait se faire au détriment de l’UE et de ses alliés dans la région.

Chaque jour semble confirmer que le monde est définitivement rentré dans une période très mouvementée et comportant beaucoup de situations imprévisibles. Les frictions, crises et conflits géopolitiques entre grandes puissances ne semblent en être qu’à leur début.