Présidentielle en Tchéquie : « La question des migrants pourrait coûter la victoire à Drahoš », selon Lukáš Macek

Le second tour de l’élection présidentielle en République tchèque opposera, vendredi et samedi, l’eurosceptique Miloš Zeman au libéral pro-UE Jiří Drahoš. Lukáš Macek, directeur du Campus de Sciences Po Paris à Dijon depuis 2004, ancien conseiller politique spécialisé en affaires européennes en République tchèque, analyse ses enjeux pour Le Courrier d’Europe centrale.

Lukáš Macek, directeur du Campus de Sciences Po Paris à Dijon depuis 2004, ancien conseiller politique spécialisé en affaires européennes en République tchèque.

Comment analysez-vous les résultats du premier tour de la présidentielle ?

Lukáš Macek : L’enjeu de cette élection était surtout de voir si le président sortant allait gagner dès le premier tour ou bien s’il allait être obligé de faire un ballottage. Le premier tour a livré un résultat qui le met beaucoup plus en difficulté que ce qui était prévu. Non seulement il n’a pas atteint la majorité, mais il n’a pas dépassé la barre des 40% ce qui peut être considéré comme un semi-échec étant donné qu’il n y’a avait pas vraiment de candidats dans son espace politique, tous les partis politiques qui auraient pu lui faire potentiellement de la concurrence dans son électorat de base s’étant écartés. Cette relative contre-performance fait que son challenger, Jiří Drahoš a quand même de solides chances de l’emporter au second tour.

L’autre point intéressant de ces élections, est de mettre en lumière la difficulté du système des partis politiques tchèque à générer des personnalités politiques fortes. Il est frappant de voir qu’il n’y a presque que des candidats indépendants et pas tous soutenus par des partis. C’est donc une élection que les partis n’arrivent pas à s’approprier et cela montre un des aspects de la crise du système politique tchèque.

C’est donc un premier tour finalement assez surprenant car des candidats présentés comme de complets outsiders, totalement inconnus du grand public et avec des moyens financiers très limités ont réalisés des scores très honorables : trois d’entre eux tournent autour de 10%. On est dans une phase de transition dans laquelle les partis traditionnels établis dans les année 90 sont en grande difficulté et l’électorat cherche des alternatives, dans les extrêmes mais pas uniquement puisque justement ces trois candidats sont plutôt centristes, libéraux et pro-européens.

Zeman serait schématiquement le candidat des ruraux et des perdants de la mondialisation et de la transition, tandis que Drahoš serait le candidat de la Tchéquie qui va bien. Est-ce aussi simple ?

C’est une grille de lecture qui n’est pas totalement erronée mais assez largement simplifiée. Je pense que si Drahoš a réussi un score très intéressant – dépassant très nettement les 20% – c’est parce qu’il arrive à mordre sur un électorat populaire et rural. Lui-même vient d’une petite ville de Silésie donc il a un côté « gars de la campagne qui a fait une belle carrière académique ». Il n’a pas le profil du grand intellectuel fils aussi d’intellectuel. Donc ça brouille un peu le schéma de base. Mais il est vrai que la carte des résultats montre que ses meilleurs résultats sont dans les grandes villes, tandis que les campagnes sont largement dominées par Zeman.

C’est un des éléments d’interprétation, mais il y en a d’autres, par exemple l’attitude par rapport à l’évolution de la République tchèque depuis 1989. Le degré d’adhésion au changement de régime est un facteur explicatif : ceux qui sont très négatifs se trouvent du côté de Zeman. Cela va souvent de pair avec un positionnement géopolitique pro-occidentaux pro-UE, pro-OTAN de ceux qui sont du côté de Drahoš et des trois candidats à 10%, tandis que Zeman a capté tout l’électorat eurosceptique flirtant avec une orientation plus pro-russe ou en faveur tout au moins d’une relation plus équilibrée entre l’est et l’ouest. Mais on est finalement dans des dynamiques que l’on constate dans d’autre pays avec des phénomènes tels que le Brexit, Trump, ou le Front National.

Peut-on parler d’une Tchéquie à deux vitesses, avec une masse de travailleurs pauvres perdants de la transition ?

Ce côté « à deux vitesses » existe comme dans toutes les sociétés libérales mais je ne pense pas que ce fossé soit aussi dramatique que dans certains pays de la région. Globalement c’est un pays qui vit une conjoncture économique très positive, avec un taux de chômage très bas. Tous les indicateurs montrent que c’est un pays relativement égalitaire à l’échelle de l’Union européenne, que ce soient le coefficient de Gini, la répartition des richesses, le système de redistribution… Les inégalités sont moins criantes que par exemple dans les Pays Baltes ou en Roumanie. Ensuite il est clair qu’il y a certaines régions qui vont mal et qu’il existe des poches de pauvreté et de chômage, mais elles sont très localisées. Et on commence à parler d’une crise de l’endettement avec des ménages très endettés et qui sont sous la coupe de procédures d’endettement. Tout ne va pas bien mais les problèmes socio-économiques sont nettement moins criants que dans d’autres pays de la région.

« Drahoš est sur des fondamentaux du mainstream pro-européen, libéral, centriste ».

Outre Zeman, la Tchéquie a aussi une personnalité politique forte avec Andrej Babiš. A quel point leurs électorat se recoupent ?

C’est la clé du résultat du second tour. Le comportent des électeurs du mouvement ANO de Babiš va clairement déterminer le résultat. Il y a clairement un deal politique entre les deux, ils ont besoin l’un de l’autre. Mais il n’est pas du tout certain que l’électorat suivra de façon massive et au premier tour une partie a rejoint d’autres candidats. D’ailleurs on sent un Babiš plus prudent qui a tendance à lâcher un peu Zeman et cherche à ne pas brûler les ponts avec Drahoš.

L’électorat ANO est très difficile à analyser car c’est un phénomène très récent et multiforme. C’est d’autant plus difficile à analyser que c’est seulement la seconde fois que l’élection présidentielle se joue au suffrage universel. C’est une élection bizarre car les pouvoirs réels du président sont très limités, donc c’est une élection avec une symbolique très forte et la projection de l’identification des Tchèques avec la fonction présidentielle, le château de Prague, etc. Car au fond, l’enjeu politique n’est pas très important face à la charge affective très forte. D’un certain côté, elle tient plus du casting ou du concours de beauté. C’est la force de Drahoš car le comportement de Zeman – qui peut être vulgaire et brutal – choque souvent et lui aliène une partie de la population. Face à lui on a l’image d’un professeur digne, d’un intellectuel qui s’inscrit dans la tradition des Tomáš Masaryk et Václav Havel. C’est sa meilleure chance, alors que politiquement son CV est vide et ses positions ne sont pas très claires ni visibles.

Peut-on résumer Jiří Drahoš à un « libéral » ?

Il est sur des fondamentaux du mainstream pro-européen, libéral, centriste. Sur le positionnement gauche-droite, c’est difficile à dire. Mais c’est quelqu’un qui n’a aucune faiblesse vis-à-vis du système communiste, qui prône une orientation occidentale et qui sur la grande question qui divise actuellement la société tchèque et qui pourrait lui coûter la victoire – à savoir la question des migrants – tient un discours très restrictif comme n’importe qui en République tchèque. Mais avec une dose d’humanité et un sens des nuances, rappelant par exemple la différence entre un migrant économique et un demandeur d’asile et que ce n’est pas parce qu’on refuse quelqu’un qu’on est obligé de le traiter comme un animal. Ce qui peut déjà poser un problème pour une partie de l’électorat qui est complètement surexcitée sur cette question. (Lire à cet égard cet article  de Radio Prague).

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).