« L’écart salarial est-ouest dans l’UE est profondément choquant »

La crise de 2008 a mis un coup d’arrêt brutal durant plusieurs années à la convergence des salaires entre l’est et l’ouest de l’Union européenne. Et si les salaires repartent à la hausse, dans les pays d’Europe centrale et orientale, ils ne représentent encore que de 20% à 40% de ceux de l’Ouest.

« L’écart salarial est-ouest dans l’UE est profondément choquant. Mais il n’est que le résultat de l’exploitation des travailleurs dans des pays où les syndicats et la négociation collective sont faibles ». Ce sont les commentaires d’Esther Lynch, secrétaire confédérale de la Confédération européenne des syndicats (CES), la seule organisation syndicale interprofessionnelle européenne reconnue par l’Union européenne. [1]Communiqué de presse de la Confédération européenne des syndicats (CES).

Le syndicat réagissait ainsi à une récente étude de l’économiste hongrois Béla Galgóczi, chercheur à European Trade Union Institute (ETUI). [2]Why central and eastern Europe needs a pay rise – Béla Galgóczi, European Trade Union Institute (ETUI). Cette étude montre que la crise financière et économique a porté un coup d’arrêt brutal au processus de convergence salariale des pays de l’ancien bloc de l’est qui ont rejoint l’Union européenne à partir de 2004.

Selon Esther Lynch cela s’explique par le fait que «durant la crise, les diminutions de salaires étaient plus répandues et les augmentations salariales moins élevées dans l’est de l’UE où les employeurs pouvaient se permettre de faire à peu près n’importe quoi. » Il convient toutefois d’ajouter que les économies des pays d’Europe centrale et orientale (PECO), plus ouvertes et exposées, ont été souvent plus durement touchées par la crise.

Le syndicat européen (CES) réclame une augmentation généralisée des salaires afin que le salaire minimum atteigne au moins 60% du salaire moyen. « Les travailleurs dans l’est de l’UE doivent bénéficier d’augmentations salariales allant au-delà de l’inflation et des gains de productivité pour compenser l’exploitation dont ils ont été victimes par le passé. »

« Les travailleurs dans l’est de l’UE doivent bénéficier d’augmentations salariales allant au-delà de l’inflation et des gains de productivité pour compenser l’exploitation dont ils ont été victimes par le passé. »

Le rôle des entreprises multinationales qui sont très présentes dans l’est de l’UE est mis en lumière par le CES qui les appelle à verser des salaires « plus justes » et à « respecter le droit de leurs travailleurs à négocier collectivement ». Le syndicat n’est pas le seul à pointer ainsi du doigt les grandes entreprises étrangères. En amont de la tournée du président français Emmanuel Macron en Europe centrale et orientale à la fin du mois d’août, le Premier ministre tchèque lui-même avait déclaré que les entreprises françaises présentes en Tchéquie doivent donner l’exemple en augmentant les salaires de leurs employés.

Il est tentant d’expliquer ces différences salariales par une productivité et un coût de la vie inférieur dans les pays d’Europe centrale et orientale. Cela ne l’explique en fait qu’en partie, car la productivité a augmenté considérablement plus rapidement que les salaires dans le passé, précise l’économiste auteur de l’étude, Béla Galgóczi. Celui-ci rappelle également que les salaires représentent une proportion plus faible du PIB à l’est de l’Union européenne qu’à l’ouest.

Tableau : Salaires nominaux moyens de l’UE-11 en % de la moyenne de l’UE15. UE15 = 100

Une menace pour le futur de l’Europe

Pour Béla Galgóczi, ces différences salariales énormes ne sont pas seulement « une question d’injustice sociale pour les travailleurs de l’Est, mais elle est préjudiciable à une croissance durable et menace le futur de l’Europe ». Car les forts écarts salariaux dans un même ensemble politique où les capitaux, les services et les personnes peuvent circuler librement produisent des effets néfastes, à la fois à l’Est et à l’Ouest.

A l’Est cela engendre une fuite de la main-d’œuvre (plusieurs pays sont aujourd’hui en situation de grave pénurie) et particulièrement une fuite des cerveaux qui compromet le développement économique sur le long terme. D’autre part, les salaires à l’Ouest sont tirés à la baisse par l’exploitation des travailleurs détachés, ceux-là mêmes que veut tacler le président français Emmanuel Macron. « La déception qui en résulte conduit à l’émergence de forces politiques qui remettent en question les valeurs fondamentales de l’UE », estime Béla Galgóczi.

L’économiste, tout comme le syndicat CES, préconisent au niveau européen la fin des politiques économiques basées sur l’austérité et la modération salariale. Au niveau des Etats, ils préconisent une hausse des salaires minimums pour tirer l’ensemble des salaires vers le haut (comme on l’observe actuellement en Hongrie et en Tchéquie par exemple), ainsi qu’un renforcement des codes du travail, qui sont à l’heure actuelle très défavorables aux travailleurs de l’est. [3]2008: The Year East-West Wage Convergence Came To A Standstill, Social Europe.

source infographie : L’Humanité

Notes

Notes
1 Communiqué de presse de la Confédération européenne des syndicats (CES).
2 Why central and eastern Europe needs a pay rise – Béla Galgóczi, European Trade Union Institute (ETUI).
3 2008: The Year East-West Wage Convergence Came To A Standstill, Social Europe.
Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).