Quand Bucarest tonne, Budapest l’atone…

Cette fois nous n’y étions pas. Mais le rapport que fait le site de gauche 444.hu de la manif’de dimanche laisse un goût de déjà vu et suffit à prendre la température du rassemblement. Elle était fraîche. Comme d’habitude.

Ainsi le journal raconte les deux mille âmes en peine sur la place du parlement…leurs regards vitreux…leurs interrogations : « Comment se fait-il que l’on soit si peu nombreux ? » ? Leurs excuses bidon aussi : « la manif’ était prévue mercredi mais on l’avait déplacée à cause du mauvais temps » (il pleuvait), ou encore « le dimanche, c’est pas le bon jour pour faire se déplacer les gens ».

Il y a eu un problème au niveau de la com’, concède-t-on. Certes, mais est-ce qu’une com’ plus agressive sur Facebook aurait fait bouger plus de monde ? Pas sûr du tout… Et même si deux fois plus de monde avaient été là : qu’est-ce que quatre mille personnes démotivées et sans inspiration auraient fait de plus que deux mille personnes démotivées et sans inspiration ? « Appelons les Roumains ! », aurait à un moment gueulé un des manifestants, pour mieux souligner la médiocrité de la situation.

Car au même moment, plus d’un demi-million de Roumains était dans les rues de Bucarest et d’autres villes. (Au fait, quel temps faisait-il là-bas ?). Il paraît que les jeunes de tout le pays – et pas que les jeunes d’ailleurs – y manifestent dans une ambiance de fête. (La preuve avec cette vidéo No comment d’Euronews). Que les gens sortent spontanément dans la rue. Qu’ils étaient si nombreux qu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient. Que maintenant ils en redemandent ! Qu’une véritable société civile est en train de naître.

On peut évidemment trouver mille différences entre les deux pays, mille raisons pour mettre des bémols à ce parallèle ainsi qu’au mouvement de protestation roumain qui est avant tout le fait d’une jeunesse citadine. Il reste que – toutes choses égales par ailleurs – la corruption fait des ravages dans les deux pays. L’indice de perception de la corruption en 2016 récemment publié par Transparency est strictement le même en Hongrie et en Roumanie (si si, vérifiez-le avec la carte en fin d’article !). Toutes les ONG, think tanks, médias, qui échappent au contrôle du gouvernement, et tous les partis politiques qu’ils soient de gauche, du centre et d’extrême-droite, tirent la sonnette d’alarme : l’Etat a été capturé par un clan et celui-ci a légalisé la corruption. Comme en Roumanie.

Mais…rien ne se passe à Budapest. Ou plus exactement, plus rien ne se passe [En France non plus, d’ailleurs]. Car avant de faire sauter peu à peu les résistances, Viktor Orbán a trouvé sur son chemin des adversaires, les premières années de son retour au pouvoir : des grévistes de la faim pour protester contre une loi restreignant la liberté de la presse, des manifestations monstres contre la nouvelle constitution début 2012, puis contre une taxe sur l’internet deux ans plus tard, etc. Il faut aussi se souvenir de ces dizaines de happenings aussi ingénieux que culottés organisés jusque dans les travées de l’Assemblée nationale par le LMP canal historique (le parti écolo intransigeant).

Plus rien ne se passe alors que le Fidesz continue de resserrer son étreinte sur la société. Plus d’un demi-million de jeunes aurait quitté le pays ces cinq ou dix dernières années, des anciens adversaires ont jeté l’éponge, sont partis faire autre chose loin de la politique, d’autres ont quitté l’arène pour se faire technocrates. A Bruxelles aussi on se désintéresse maintenant totalement de ce qu’il peut bien se passer ou ne pas se passer en Hongrie, considérée comme un pays acquis pour longtemps au Fidesz (confidences d’un eurodéputé hongrois).

A ce stade de ce petit billet de (mauvaise) humeur , une nouvelle sinistre de plus tombait : Mária Sándor, une des principales figures de l’opposition civile, vient de commettre une tentative de suicide. « L’infirmière en noir », comme elle est surnommée, se bat depuis des mois pour obtenir des meilleures conditions de travail dans les hôpitaux. Sans préjuger des raisons de ce geste intime (il est important de le souligner !), on ne peut s’empêcher de se souvenir qu’elle avait fait publiquement savoir cet automne qu’elle souhaitait se mettre en retrait de la vie publique afin de protéger sa santé, se disant éreintée par son combat…avant de céder aux rappels de ses nombreux supporteurs.

Peut-être qu’il suffira d’une étincelle pour faire émerger une société civile ici en Hongrie, comme en Roumanie… ?

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).