Médias : la France, la Hongrie, l’UE, deux poids deux mesures ?

Alors que le roi Orbán de Hongrie se faisait vilipender par Dani le vert, leur leader au parlement européen, les deux députées européennes d’Europe-Ecologie signaient une tribune dans rue 89 où elles essayaient d’attirer l’attention sur la loi Loppsi 2.

«Alors que la Hongrie est montrée du doigt en raison d’une loi sur les médias que François Baroin, le porte-parole du gouvernement, a jugé incompatible avec les traités fondamentaux européens, la droite française s’apprête à voter cette semaine la Loi de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite Loppsi 2».

En vain, puisqu’en même temps, le Sénat validait l’article 4 de la Loppsi 2, autorisant la censure d’un site Internet sans jugement…

Classement mondial de la liberté de la presse de RSF d’octobre 2010 : la France est 44e (soit 33 places perdues depuis la création du classement, il y a 8 ans). La Hongrie est classée 23e.

On ne peut que se féliciter du contre-pouvoir que joue l’Union Européenne dans les dérives démocratiques en cours en Hongrie (réforme de la Cour constitutionnelle, des médias…) depuis le printemps dernier et «la révolution dans les urnes» vantée dans la «Déclaration sur l’entente nationale», si chère à Orbán. Par contre, on ne peut que regretter la mollesse de sa réaction face à des dérives démocratiques tout aussi inquiétantes, voire plus, dans beaucoup de pays européens, en particulier la France.

Ces dernières semaines, la Hongrie a connu une campagne d’attaques des médias occidentaux, modèle de ce type de campagne où les journalistes, comme des moutons, font du buzz facile, non sans imprécisions, en allant dans le sens d’un imaginaire occidental regardant ces «pays de l’Est» avec condescendance. De plus, cela permet aux médias dominants de l’ouest, de manière insidieuse, de laisser croire à leurs concitoyens qu’ils n’ont pas à s’inquiéter puisqu’ils veillent à ce qu’aucune dérive démocratique de ce genre ne soit possible. «Nous sommes sauvés !»

Malheureusement la réalité n’est pas si rose… en particulier en France…

Ces dernières années, nous avons connu en France une dégradation inquiétante de notre belle démocratie, ce qui n’empêche pas nos leaders politiques de donner des leçons, en particulier à la Hongrie, avec une arrogance toute française. C’est ce que résume très bien le dernier rapport de Reporters Sans Frontière : «L’année 2010 a été marquée par plusieurs agressions contre des journalistes, des mises en examen, des violations ou tentatives de violations du secret des sources et surtout un climat lourd de défiance envers la presse. La majorité présidentielle a eu des mots très menaçants, parfois insultants, envers certains médias».

En effet, la France c’est ce pays, modèle des droits de l’homme, qui purge des chroniqueurs politiques trop subversifs envers son pouvoir (Stéphane Guillon, Didier Porte et Gérald Dahan). C’est ce pays où les ordinateurs de journalistes (Le Monde, Le Point, Médiapart, Rue89…) ayant le toupet d’enquêter sur des affaires dérangeantes (Bettencourt, Karachi…) pour son roi, pardon son président, disparaissent. «Pure coïncidence ?» C’est aussi ce pays où le Syndicat National des Journalistes écrit une lettre ouverte demandant : «Est-il exact que la DCRI (Direction centrale des renseignements intérieurs) est amenée à s’intéresser à tout journaliste qui « se livre à une enquête gênante » pour le président de la République.»

Lundi, l’Europe adressait un ultimatum à Budapest concernant sa désormais trop fameuse réforme des médias, soit un peu plus d’un mois après la validation de celle-ci par le parlement hongrois. Est-ce que cela est lié aux décisions économiques peu orthodoxes de virer le FMI, de taxer les banques et les produits financiers ou encore de taxer les multinationales, ces dernières étant allées récemment pleurnicher à Bruxelles… En tous cas, on ne peut que constater que la commission a bien fait son travail concernant la Hongrie. A quand autant de pugnacité contre les grandes puissances européennes ? En particulier contre la France !

Le véritable risque, avec cette façon de faire selon «deux poids deux mesures», est celui de renforcer le roi Orbán dans son pays et de renforcer une culture de victimisation du peuple hongrois (déjà bien trop présente dans l’imaginaire magyar), ainsi qu’une défiance toujours plus grande envers une Europe qui n’en finit plus de décevoir… le peuple le plus europhile de la région.

Articles liés
Vincent Liegey

Co-auteur du livre Un Projet de Décroissance (Utopia, 2013), chercheur indépendant, co-fondateur de Cargonomia et co-orgaisateur de la 5ème conférence internationale sur la Décroissance - Vincze Szabo (pseudonyme utilisé sur Hulala pour des raisons de devoir de réserve).

6 Comments
  1. On y arrive, on y arrive. Cette loi en Hongrie interpelle au delà de la Hongrie, et jusqu’en France.

    Merci Orbàn, même si vous ne l’avez pas fait exprès. Tenez bon. Si votre présidence pouvait engager un grand débat sur la liberté de la presse, alors, votre présidence sera une grande présidence.

  2. http://reporterre.net/spip.php?article1590

    Et ça continue, c’était il y a quelques heures à Paris.
    Témoignage à chaud d’Hervé Kempf, journaliste au Monde et auteur de L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie :

    La police embarque les citoyens pour protéger le repas des oligarques

    La police est intervenue mercredi 26 janvier, avant 20 h 00, embarquant les personnes présentes devant l’Automobile Club, place de la Concorde à Paris. Elles s’étaient réunies pour protester contre la réunion mensuelle du Club Le Siècle qui rassemble hommes d’argent, politiques, et journalistes.

    Hervé Kempf – 26 janvier 2011

    Je sors du rendez-vous précédent et galope vers la place de la Concorde. Il est 20 h 05. Sur le téléphone que je rallume, des messages s’affichent. Une camarade : « Je suis dans le panier à salade, on a tous été embarqués ». Au moment où je l’écoute, arrêté au feu rouge, je vois passer un de ces vieux bus de la RATP transformés en cars de police. De l’autre côté de la place, des lumières bleues.

    J’approche, un autre car est là, attendant, le moteur allumé. Par la porte ouverte, je vois des gens assis, sous la garde de policiers. Sur le terre-plein devant l’Automobile Club, un cordon de policiers a fait le vide. Il n’y a plus grand-monde, on peut passer, il y a des policiers en civil partout – gros anorak, bonnet. L’accès du Club est libre, de temps à autre, des gens y pénètrent. Ils sortent de la bouche de métro – en fait, du parking, dont une sortie donne sur le couloir de métro qui conduit à la place -, d’autres viennent en taxi. Ils avancent, l’air déterminé, aux aguets quand même. Il y a aussi des touristes qui passent par là, d’autres gens.

    Je reste sur le pavé, devant les autos rangées près du trottoir. Le car à l’arrêt est parti. Jean-Pierre est dedans, il m’appelle : « On n’a pas eu le temps de rien faire, il y avait des policiers partout. – Quand ? – Je suis arrivé vers sept heures et quart. Peu après, ils nous ont interpellés, fouillés, embarqués. – Vous aviez fait quelque chose, vous aviez crié ? – Non, rien, on était juste là. »

    C’est tout. La ville est tranquille. Le dîner du Siècle aura lieu.

    Une question, tout de suite : la police peut-elle arrêter un groupe de personnes avant même qu’ils aient fait quoi que ce soit ? Quel est le motif légal ? Est-ce légal ? La question à laquelle il faudra répondre demain.

    Autre question : la police va-t-elle demander aux personnes interpellées de prendre leur empreinte génétique ? Sachant qu’un refus constituerait un délit – alors que ces personnes n’ont commis aucun acte répréhensible.

    Et puis, un sentiment d’amertume, et de tristesse pour ceux qui vont passer des heures pénibles, au commissariat. Mais aussi un sentiment encourageant : ça les dérange à ce point, qu’on soit là, juste pour les voir et leur dire qu’on sait qu’ils existent, ça leur fait peur à ce point qu’ils se protègent tout de suite par la police, par la peur, par l’enfermement ? Et bien si ça les dérange, c’est que c’est bien utile, d’être là. Au mois prochain.

    Source : Reporterre.

  3. les politiciens francais sont les rois du « faites ce que je dis, pas ce que je fais ».

    En france, ce n’est plus les francais qui gouvernent mais les lobbys (groupes de pressions),
    une democratie exemplaire…

  4. Un paragraphe que j’approuve totalement :

    Lundi, l’Europe adressait un ultimatum à Budapest concernant sa désormais trop fameuse réforme des médias, soit un peu plus d’un mois après la validation de celle-ci par le parlement hongrois.Est-ce que cela est lié aux décisions économiques peu orthodoxes de virer le FMI, de taxer les banques et les produits financiers ou encore de taxer les multinationales, ces dernières étant allées récemment pleurnicher à Bruxelles… En tous cas, on ne peut que constater que la commission a bien fait son travail concernant la Hongrie. A quand autant de pugnacité contre les grandes puissances européennes ? En particulier contre la France !

  5. « faites ce que je dis, pas ce que je fais »
    exact !
    mais l’auteur de la tribune (Vincze) et l’auteur du commentaire (Vincze) est-ce la même personne ?
    si oui belle forme d’indépendance… je suis d’accord sur le fond (même si je viens de rendre ma « carte » de LMP – c’est un parti comme un autre : juste une grande soif de pouvoir… dommage) mais donner des leçons sur l’indépendance et la transparence quand on s’en arrange si-même si facilement…

Leave a Reply

Your email address will not be published.